*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 67327 ***
AU BORD
DU
DÉSERT
PAR
JEAN AICARD
L’AME ARABE (A PIERRE LOTI)
IMPRESSIONS
SOUVENIRS — LÉGENDES ARABES
LA PÉTITION DE L’ARABE
DEUXIÈME ÉDITION
PARIS
PAUL OLLENDORPFF, ÉDITEUR
28 bis, RUE DE RICHELIEU, 28 bis
1888
Tous droits réservés.
ŒUVRES DE JEAN AICARD
POÉSIE
- Les Jeunes Croyances.
- Les Rébellions. Les Apaisements.
- Poèmes de Provence.
- Miette et Nohé.
- Le Dieu dans l’Homme.
- L’Éternel Cantique.
- Lamartine.
- Visite en Hollande.
- Le Livre des Petits.
- La Chanson de l’Enfant.
- Le Livre d’heures de l’Amour.
THÉATRE
- Othello, drame en cinq actes en vers.
- Smilis, drame en quatre actes en prose, représenté à la Comédie-Française.
- Au clair de la lune, un acte en vers.
- Pygmalion, un acte en vers.
- Mascarille, à-propos en vers.
- La comédie française à londres.
- La comédie française à Alexandre Dumas.
CRITIQUE
Pour paraître prochainement :
- Don Juan (XIXe Siècle), poème dramatique en cinq actes.
- Papillons Nihilistes.
IL A ÉTÉ TIRÉ A PART
2 exemplaires sur papier impérial du Japon.
5 exemplaires sur Hollande numérotés à la presse (1 à 5).
L’AME ARABE
A PIERRE LOTI
Ce que j’ai fait en Algérie, ô Loti, c’est à vous que
je le veux conter, parce que vous avez une âme, une
âme qui va loin sous les choses, qui lit le verbe entre
les lignes ; parce que dans vos yeux vagues la vie
même incomprise se reflète approfondie et conçue ;
parce que vous êtes un poète et que moi, n’ayant rien
à vous apprendre, je suis sûr d’être deviné par vous.
Je suis allé dans ce pays qui vous charme, d’abord
pour changer de place ; pour monter à cheval en quittant
un bateau ; pour voir d’autres visages que celui
de nos concierges parisiens ; pour acheter, à Biskra,
d’un marchand toulonnais, une musette en poil de
chameau et un faux poignard touaregs que m’ont
volés, à Biskra même, des garçons de café parfaitement
européens ; pour m’affubler d’un chapeau de
palme grand comme un parasol et brodé de laine
rouge ; pour inaugurer un chemin de fer ; pour offrir
à Tunis la première conférence française qui y ait été
faite : pour voir Barka danser, un peu niaisement, la
danse du ventre, qui ne vaut pas la danse du sabre
dansée par des hommes ; pour causer, au bord du
désert, avec trois ministres et quelque cent députés ;
pour trouver vilaines les juives boursouflées de Tunis,
et magnifique l’hospitalité des Tunisiens ; pour effrayer,
dans Tunis, une Américaine qui m’a pris pour un Américain ;
pour y entendre, à minuit, dans un cabaret,
pleurer tout à coup un rieur sceptique qui m’a avoué
un cœur exquis ; pour entendre deux cents personnes
me demander tour à tour, en une heure, devant les
gorges du Rummel, à Constantine, si ce « paysage
m’inspirait » ; pour m’entendre dire par les mêmes,
tous les jours cent fois, un mois durant, cet assommant
beau vers d’Alfred de Musset :
Poète prend ton luth… et me donne un baiser,
que les femmes n’achèvent jamais ! pour acheter un
bracelet d’esclave à un homme libre qui voulait me le
vendre six fois sa valeur, — mais j’ai dit, prévenu par
un interprète : « Prends ta balance, et pèse ! » — et il a
répondu, cet Arabe : « Je vois que tu la connais » ;
pour proposer à une Ouled-Naïl de me vendre la bague
de son doigt, proposition de mauvais goût à laquelle
elle a justement répondu, sans bienveillance aucune :
« Un coup de bâton dans les reins, voilà ce que je veux
te vendre, chien de roumi » ; pour rendre visite, dans sa
maison mauresque, à la mauresque Aïcha qui m’a dit :
« Viens me voir à Lyon ! » pour prendre du café, sur
le plateau de cuivre, chez Zorah, l’amie de Fatma, à
qui j’ai récité, pour voir, la Nuit de mai… Zorah m’a
dit : « Tu chantes ? » et elle m’a accompagné d’une
mélopée arabe, ce qui prouve que nous nous comprenions
très bien.
Après cela, j’ai repris le bateau « pour France » ;
j’ai quitté, non sans tristesse, des amis nouveaux ; j’ai
vu le grand continent s’enfoncer et disparaître dans
le lointain entre ciel et mer, l’apparition d’Alger,
teinté de bleu de ciel et de blancheur d’écume, fondre
lentement sous le ciel et l’eau… La nuit est venue,
sans étoiles, — mais des étoiles bleuâtres se sont allumées
le long du bord, dans les écumes phosphorescentes.
J’ai regardé longtemps cet éventail blanc qu’ouvre devant lui
l’éperon du bateau ; — la route étincelante
qu’il laisse sur l’eau derrière lui, chemin de gloire
bientôt effacé, et le sillage de fumée bientôt éparpillé
dans l’air… Le capitaine m’a, au matin, désigné la terre,
invisible pour moi dans les brumes dorées. Puis, Marseille
a surgi ; les horizons connus ont reparu ; les
douaniers, vainement, ont essayé de troubler la douce
émotion de mon cœur… Et me voici chez moi, à la
campagne, dans ce cabinet de travail que vous connaissez,
en train de vous écrire entre deux étagères
algériennes et trois pots de Tunis, un peu sot du retour,
si je n’avais à vous dire que j’ai rapporté de là-bas
quelque chose de l’âme arabe.
.......
..........
...
.......
..........
...
Il y a six mois que les lignes précédentes ont été
écrites, Loti, dans ma retraite de Provence.
Je reprends ces pages à Paris, comme une lettre
qu’on a un moment interrompue.
Ce qui m’a interrompu, ç’a été, ô Loti, un projet,
une idée bizarres : l’idée, le projet, de faire jouer
au Théâtre-Français une pièce en quatre actes, en
vers.
Fatale idée, Loti, projet fatal ! Puisse le Bouddha cher
à Chrysanthème vous garder à tout jamais du projet,
de l’idée bizarres qui pourraient vous venir, comme à
moi, — ô Loti, — de faire marcher sur un théâtre
vos rêves en habits de réalité !
Le théâtre, ô Loti, est un endroit redoutable où les
rêves des rêveurs prennent des corps, des voix, pour
injurier et frapper leurs pères.
Au théâtre, votre frère Yves vous dirait que vous
ne savez pas ce que vous faites, votre petite Chrysanthème
vous affirmerait que vous ne savez pas ce que
vous dites, et Azyadée que vous êtes un sot.
Dès qu’on apprendrait que vos propres amoureuses,
vos propres frères et enfants, n’ont pour vous aucun
respect, le bruit se répandrait que vous êtes plus bête
encore qu’ils n’osent le dire, et les gazettes l’imprimeraient !
Elles l’imprimeraient, Loti. Il se trouverait des confrères
pour annoncer à tout l’univers que votre œuvre,
encore inconnue, votre œuvre encore vôtre, est indigne
d’être et de paraître.
Ils ne s’apercevraient point qu’il y a, dans un procédé
pareil, injustice et cruauté. Ceux mêmes qui demandent
des œuvres dramatiques nouvelles, des efforts
nouveaux, qui crient : « Place aux jeunes ! »
c’est-à-dire aux auteurs sans autorité, — ne s’apercevraient
point qu’ils font du découragement, du désespoir
peut-être, qu’ils ruinent d’avance l’avenir sur
lequel comptait un travailleur. Ils ne se diraient pas,
ô Loti ! qu’ils sont pareils à la grêle qui tue la moisson
à peine germée.
Et le public, indifférent, croirait, sur la foi des gazettes,
que l’œuvre, inconnue de tous, a été condamnée
par tout le monde, — au moment même où vous,
l’auteur, vous déniez à l’expérience des maîtres eux-mêmes,
et sur leur conseil, le droit de dire à l’avance :
« Ceci fera de l’effet, ceci n’en fera pas. »
Car, ô Loti ! l’art du théâtre est par excellence l’art
sans formule. Au théâtre, tout le monde vous conseille,
personne ne sait quoi. C’est un lieu magique où
on produit l’illusion et où on perd toutes les illusions.
L’effet y prime le sentiment, la pensée, l’émotion. Tout
le monde cherche donc l’effet, mais personne ne sait
où il est. La grosse affaire est d’affirmer que l’auteur
le sait moins que personne. Quelquefois tout le monde
croit le savoir… « C’est ici ! » Quelle erreur ! c’est
là-bas, tout au contraire, qu’il se produit alors au mépris
des prévisions. Et le critique triomphalement de
s’écrier : « Ça, c’est du théâtre ! » juste quand le succès
le lui fait croire.
Qu’il y ait un art dramatique où l’émotion naîtrait
des situations et des paroles, sans effet, — ce qui
serait d’un très grand effet, — je suis de ceux qui le
pensent, — mais les critiques enseignent le contraire,
les directeurs affirment le contraire, parce qu’ils se
font un devoir de chercher le succès d’argent, non le
succès d’art, — et le public, — qui a bien d’autres
affaires, — passe condamnation. Il va au cirque, — que
j’aime beaucoup, et vous aussi, ô Loti.
Après les Burgraves, Victor Hugo, — ceci, je crois,
n’a jamais été raconté, — s’écria : « Le théâtre m’ennuie ;
les comédiens m’ennuient ; les répétitions m’ennuient ;
les directeurs m’ennuient ; les ministres m’ennuient ;
la censure m’ennuie ; les rois, les empereurs m’ennuient…
je ne ferai plus de théâtre !… »
Découragé, il employa « ce qu’il avait de talent » à
faire la Légende des Siècles.
Ne faites pas de théâtre, ô Loti. Moi, je n’ai plus
qu’une vingtaine de comédies et de drames à écrire et
je jure de n’en plus faire aussitôt après.
Pour le moment, impatienté, j’ai préféré revenir à
l’âme arabe que « faire du théâtre ». Je retournerai
dans quelque temps à la Comédie-Française. Je vous
y convierai. Vous n’y viendrez pas. Vous ne devez pas
aimer ça.
A mon retour d’Algérie, Loti, au sortir des grands
horizons de désert et de mer, — on ne saurait croire
quel effet lamentable m’ont produit la scène et les
décors d’un théâtre ! Je ne comprenais plus. Le joujou
de carton était trop petit ; l’action, trop compliquée et
trop rapide… C’est que j’étais habitué aux simplicités,
aux grandeurs, à la patience… j’étais arabisé.
L’âme arabe, ô Loti, est simple, grande, patiente,
et n’a rien à voir aux discussions de théâtre.
J’ai écrit aujourd’hui les derniers vers de mon
livre.
Laissez-moi vous conter comme il a été joyeusement
baptisé, à vous qui aimez les jeux de la vie, du
hasard, de la fantaisie.
Moi qui n’ai pu assister à Rochefort à votre fête
« moyen âge, » je compte aller voir samedi prochain
le bal offert aux Parisiens par M. Cernuschi. Je rêve
un costume d’Othello, et j’essayais chez moi une
robe blanche, de lin et de soie, quand des amis, à l’improviste,
ont frappé à ma porte. C’était ce soir même :
« Ah ! vous voilà ! vous allez baptiser mon livre ! »
Nous éclairâmes a giorno. Le hasard, qui m’habillait
en Oriental, fit entrer chez moi, à ce moment, un jeune
Arabe qui fut mon compagnon de voyage de Tunis à
Alger. Quand il eut entendu la Pétition de l’Arabe, la
dernière pièce de ce livre, mon hôte, touché, ôta de son
doigt une bague, et me tint, très gracieusement, ce
petit discours, non sans quelque solennité : « Ceci est
un talisman. Douze lignes du Koran sont gravées sur la
pierre de cette bague, grande comme l’ongle du petit
doigt, et qui a été rapportée de la Mecque. Je vous
donne cette bague en souvenir du jour où vous avez
achevé ce livre, qui défend, d’une manière si touchante
pour moi, la race arabe.
« Cette bague est un souvenir légué à mon père par
le Kashnadar (ministre de Tunis avant le protectorat),
le même à qui M. Thiers écrivait : « La Tunisie est
pour vous un trop petit champ d’action ; vous êtes
vraiment un homme d’État. »
« Je tiens beaucoup à ce talisman. Le ministre notre
ami l’a porté trente-sept ans. J’aurais « le cœur fendu »
s’il était porté à l’avenir par un autre que vous ; je
vous l’offre comme un remercîment des Arabes. »
L’émotion d’un Arabe, le jour même où j’ai écrit
la dernière ligne de mon livre, voilà, Loti, un souvenir
émouvant pour moi. Je vous le conte, persuadé qu’il
vous touchera aussi.
Cette bague, c’est le signe de mon alliance avec l’âme
arabe. Pendant que je la glissais à mon doigt, j’évoquais
une forme entrevue dans une villa mauresque,
à la grille d’une fenêtre, une tête fine, curieuse, aux
grands yeux doux, bien noirs et luisants d’une vive
étincelle, et je nommais en mon souvenir la Kheïra
du poète Bib-el-Thebib, et je me croyais son fiancé,
dans l’étincelante demeure du Rêve, où les jours sont
des nuits constellées de flambeaux, embaumées de
fleurs, pleines de chansons.
« Les étoiles m’illuminent, les fleurs m’embaument,
les chansons me bercent. »
Sur l’or de cette bague, je ferai graver une date,
celle d’aujourd’hui : 16 mai 1888.
L’âme arabe dit :
Tu ne seras vraiment charitable et pieux
Qu’après avoir donné ce qui te plaît le mieux.
Elle a dit :
Un nom obscur, mais pur, est glorieux dans l’ombre.
Elle a dit :
Se servir du poignard, c’est, — fût-on le vainqueur, —
Lui donner pour fourreau, demain, son propre cœur.
Elle a dit :
Poète, parle à tous avec force et douceur,
Et, ni juge ni roi, sois un avertisseur.
Aucune sagesse n’a pensé plus haut. C’est la parole
chrétienne.
L’âme arabe, ô Loti, est simple, grande, patiente.
Elle accepte la vie et elle accepte la mort.
Parmi les procédés d’art et de critique, il y en a
deux, très opposés, et qui sont symétriques.
L’un consiste à voir dans la nature qu’il s’agit d’exprimer,
ou dans l’œuvre qu’il faut qualifier, uniquement
les choses mauvaises, déplaisantes, le mal et
l’erreur. Dans ce système, quand le bien, l’agréable,
sont constatés, ils prennent l’arrière-plan ; ils sont
subordonnés, niés presque, sinon tout à fait.
L’autre système consiste à ne voir ou à ne montrer
que le bon et le bien. Le mauvais et le mal sont alors
sinon niés, du moins subordonnés, relégués à l’arrière-plan…
Des deux systèmes, quel est le meilleur ?
Pour moi, qui ne me permettrai jamais de trancher
aucune question, — et qui ne reconnais aux critiques
et aux chefs d’école que le droit d’affirmer les préférences
de leur nature propre, mais non de proclamer
des règles, je préfère l’art qui met au-dessus de tout, — comme
le fait la nature elle-même, — les rayons, les
nettetés, l’éclat, la vie, l’épuration perpétuelle, universelle.
Je ne suis pas de ceux qui reprochent aux corbeaux
de manger de la viande corrompue : je les remercie
d’être des nettoyeurs. Les charognes, dans la nature,
tiennent peu de place, et, vite, sont éliminées, disparaissent
sous les fleurs et les verdures.
Je ne dis pas aux roses : « Fi ! vous naissez du fumier : »
je suis tenté de dire au fumier : « Gloire à toi
qui nourris les roses ! »
O Loti, le réel social, que l’on confond trop souvent
avec la nature, est quelquefois abject parce qu’il se
modèle imparfaitement sur la nature divine… J’appelle
divin tout ce qui échappe à l’homme, se passe de lui,
et l’emporte.
La terre n’est pas ignoble ; elle absorbe toute ignominie
et en fait de la vie, éternellement ; la mer
n’est jamais salie : elle lave tout ce qu’elle touche,
les rochers du rivage et le pont de votre navire ; le ciel
est la source de pureté, eau et feu. La vie est propre
et glorieuse. La mort, immortellement, est absorbée
et rendue vivante. Il n’y a de naturalisme, d’art, de
politique, de philosophie viables, que ceux qui,
copiant la nature même, simplifient tout, purifient
par la simplification qui rapporte chaque élément à
sa source particulière, lavent, éclairent, et font germer,
c’est-à-dire monter vers la lumière.
L’esthétique est une morale.
J’ai lu sur les Arabes, ô Loti, différents ouvrages, où
tous les défauts de la race sont signalés avec un soin
méticuleux. Voleurs, menteurs et pouilleux, voilà les
aménités naturalistes dont couramment on les gratifie.
J’estime que les Français orgueilleux qui parlent
ainsi d’un peuple vaincu, le traitent injustement et
maladroitement en ennemi armé et debout.
L’Arabe ne nous hait point. Il hait le juif, non le
chrétien. Aïssa ou Jésus est pour lui un prophète
vénérable. En outre, cette race guerrière, chevaleresque,
a le respect d’une Force à qui Dieu a permis le
triomphe.
Elle a le respect du vainqueur. Si tu as vaincu, c’est
que Dieu l’a voulu. De plus, trop fière pour rabaisser
ses ennemis, elle les estime, les admire d’être ses
vainqueurs, et demeure prête — si le vainqueur n’essaie
pas de dominer sa conscience, n’offense pas sa
religion — à le servir comme un noble et bon maître,
le désigné de Dieu.
Avec de telles dispositions d’âme, l’Arabe, manié
par une autorité éclairée, énergique et subtile à la
fois, aussi polie que ferme, deviendrait une force
française incomparable, très supérieure, par entraînement
religieux et physiologique, à l’élément européen,
fatigué, lui, par l’esprit sceptique, analyste et
positif, par un rationalisme de décadence qui est la
mort de tout enthousiasme et, par conséquent, de
toute grandeur, de tout dévouement, de toute patrie,
comme de toute famille et de toute religion.
Il va sans dire qu’il ne me vient pas à l’esprit d’opposer
la société arabe à nos sociétés européennes.
C’est de l’âme arabe que je parle uniquement, de l’individualité
morale de l’Arabe, de sa conception de la
vie ; je parle de ce qu’il y a d’essentiellement beau
dans le génie de cette race, qui n’a rien à fonder, puisqu’elle
a placé son intérêt d’être, son âme, bien plus
haut que ce monde, — et qui aurait le droit en somme
de vivre à sa guise, si nous n’étions pas encore aux
temps de deuil où la Guerre prétend fonder le Droit.
On a impolitiquement fait à l’Arabe la mortelle
offense d’accorder aux Israélites d’Algérie des privilèges
qu’il n’a pas ; on l’a, de fait, déclaré inférieur à la race
qu’il abomine. Faute énorme ! grosse de périls ! La
France de l’égalité doit aux Arabes, sans tenir compte
de leur intolérance, plus de respect véritable.
Au lieu de respecter la foi de l’Arabe, on la brave.
Au lieu de traiter l’Arabe en noble chevalier vaincu,
on le traite en indigne ; il est, en face de nous, sans
moyens d’action, sans députés indigènes, sans autre
défense que l’insurrection. On en abuse.
En ceci, la France oublie trop qu’elle est l’apôtre
de tous les affranchissements.
Nous ruinons, nous abîmons une grande race qui
nous est fraternelle et demeure prête pour nous au
dévouement des martyrs : l’Arabe l’a prouvé en 70.
Les colons supprimeraient volontiers, d’un seul
coup, tout l’élément arabe.
Eh bien ! la France qui pense ne peut pas être, en
1889, la France qui exploite.
Les Arabes demandent quoi ? Plus de respect de
l’âme française pour l’âme arabe, pour la dignité
arabe, pour les mœurs, la religion, la foi arabes, — peut-être
pour la propriété arabe.
Ce qui en eux réclame ce n’est pas l’épargne, c’est
la générosité, c’est la dignité… J’ai promis à un certain
nombre de cheiks d’écrire cette revendication, le cri
de leur cœur. J’ai tenu, je tiens ma promesse… Vous
trouverez, Loti, à la fin de ce livre, la Pétition de
l’Arabe, dont chaque trait m’a été fourni par un de
mes hôtes d’un jour, autour du couscoussou national.
Hélas ! il faudrait que quelques-uns au moins de
nos administrateurs fussent animés d’un esprit
d’apôtres. Il faudrait que leur mission ne leur apparût
pas seulement comme une fonction lucrative ; il faudrait
qu’une forte éducation nationale eût appris à
ces serviteurs la connaissance des âmes, des religions,
des intérêts supérieurs, et comment l’intérêt privé,
légitime, s’élève en servant celui des peuples.
Il faudrait, ô Loti, que nous eussions de la grandeur,
un idéal politique, national, humain, le goût de l’unité,
l’horreur de la division, beaucoup de choses, ô Loti,
dont on ne parle même plus…
Comment la France respecterait-elle l’Arabe ? Nous
ne nous respectons plus nous-mêmes. La Liberté, qui
nous semble encore le principe de la dignité humaine,
est en train de tuer la politesse française ! Les lettres
donnent souvent l’exemple. L’art n’est plus la fleur
par excellence d’une nation policée et polie. La grâce
hellène, si bien mariée à l’esprit français d’autrefois,
se cache, honteuse, devant des lourdeurs vraiment tudesques,
des violences américaines et des mercantilismes
anglais…
Reprenez la mer, ô Loti. C’est elle qui vous a enseigné
la simplicité et la grandeur, qui vous a donné
votre génie, le mépris, l’oubli plutôt, des bassesses
et des jalousies, la patience, l’acceptation de la vie et
de la mort.
La mer enseigne les mêmes choses que le désert.
L’âme arabe, comme le désert, est simple et grande.
Il y a, dans ce livre, Loti, une ou deux pièces, où,
donnant la parole à l’Arabe, je lui prête des idées ou
des sentiments plus compliqués que les siens propres
(le Marcheur du désert, par exemple). L’expression
seule de certains sentiments, ces sentiments fussent-ils
ceux de l’Arabe, est déjà par elle-même une complication
dont il est incapable. Mais, Loti, comme
vous l’avez dit vous-même du Japon, dans votre livre
japonais, je dirai à mon tour : Un des principaux personnages
de ce livre est l’Effet que me fit ce pays.
Ce que raconte chaque voyageur, c’est ceci : comment
il a été, personnellement, impressionné par les
pays qu’il a parcourus.
Sans cela, il y a beau temps qu’on ne parlerait plus
ni de la terre, ni de la mer, ni du ciel, ni des fleurs,
ni de l’amour, — et ce serait vraiment dommage, ô
Loti.
Simple et grande, l’âme de l’Arabe ! comme l’éternel
spectacle du lever et du coucher des soleils dans le
désert.
Ici, il y a Dieu et l’homme. Dieu est grand… Moi
si petit, si perdu ! Et l’homme s’incline, grand par le
sentiment constant de son rapport avec l’infinie immensité.
L’Arabe étant assuré dans sa foi, la mort ne lui est
rien qu’une délivrance. A toute seconde, il est prêt à
se montrer héroïque. Quand Mahomet ne serait qu’un
politique, il resterait un grand prophète.
La foi est un levier perdu, celui qui soulevait les
montagnes. Nous qui n’avons plus la nôtre, servons-nous
de celle-ci en l’honorant. Ce sera plus noble
d’abord, plus politique en même temps que de la susciter
contre nous.
L’Arabe est patient. La monotonie des jours dans
l’horizon uniforme lui a appris la patience. Et surtout
il la tient de sa foi, patient… parce qu’il se sait immortel.
On m’a cité l’exemple d’un Arabe qui arrive dans
une gare au moment précis où le train — un train
unique par vingt-quatre heures — siffle et s’éloigne.
L’Arabe le regarde partir, curieux, charmé de voir
cette puissance étrange activer sa vitesse ; puis, lentement,
le fils du désert s’assied, tire quelques dattes du
capuchon de son burnous, et, vingt-quatre heures
durant, attend le train qui doit suivre.
La patience aussi est une force. Pourquoi la mettre
contre nous ?
Voilà, ô Loti, les réflexions que je vous dédie, à
vous qui êtes un poète, — incompris d’ailleurs au
point de vue philosophique, malgré l’admiration générale
qu’ont soulevée vos livres, — à vous qui vous
êtes fait l’éducateur d’un simple, « mon frère Yves »,
d’un nomade du désert d’eau que, lentement et à
force d’affection et de génie, vous avez élevé au rang
de frère.
Cette action-là, ô Loti, c’est l’action future, sacrée,
de l’esprit de liberté sur les masses inférieures. A défaut
d’autre religion, nous aurons celle de la pitié, la
vénération de la douleur, le respect de la misère, l’amour
des faibles, des vaincus, sans autre récompense
que la joie de se donner, de créer, de faire œuvre
d’hommes-dieux.
C’est là l’essence du génie chrétien, qui refleurira
à la cime de la civilisation universelle.
Un de mes frères à moi m’écrivait il y a quelques
jours : « Proclame (pour faire ton devoir de poète) les
devoirs du riche et les droits du pauvre ; c’est tout l’Évangile. »
Oui, quoi que cela puisse coûter, c’est cela,
ô Loti, qui est la vérité. Elle paraît encore gênante à
beaucoup des nôtres, je le sais. Mais elle est impérieuse
et s’imposera, ou bien ce sera la fin du vieil Occident.
Oui, il faut que ceux qui savent, proclament les
droits de l’ignorant ; que les forts proclament le
droit des faibles, les riches le droit des pauvres, le
vainqueur les droits du vaincu.
Alors seulement il sera permis aux puissants de ce
monde de parler, avec noblesse, de soumission et de
devoir, aux ignorants, aux faibles, aux pauvres, aux
vaincus.
Là est la Révolution, ou elle n’est qu’un mensonge.
Là est la France.
Les temps approchent. Les signes se multiplient.
J. A.
Paris, 16 mai 1888.
AU BORD DU DÉSERT
ALLAH
La présence d’Allah remplit les solitudes.
Elle est dans la nuit douce et sous les soleils rudes,
Car, s’il n’était pas là, l’homme serait perdu
Seul, dans le grand désert jusqu’aux cieux étendu !
Si faible, si petit, si seul, si périssable,
Grain de sable parmi cet infini de sable,
Sous le sable infini de l’azur constellé,
Il s’est vu sans secours : il a donc appelé !
Car la foi dans nos dieux, c’est pitié pour nous-même.
La foule ne voit plus l’immensité suprême :
Les hommes assemblés se la cachent entre eux ;
Ils se croient assez forts dès qu’ils se voient nombreux.
Mais l’Arabe, isolé dans le désert immense,
Ne peut pas se suffire : il voit où Dieu commence :
Au seuil de l’infini, dans l’horreur du désert,
Dans l’oasis lointaine où rit le dattier vert,
Dans l’eau pure et soudaine apparue en mirage,
Dans l’étoile qui luit sur les goums en voyage,
Et dans l’ombre qui suit, spectre mystérieux,
Son pas, dans le désert, pour reposer ses yeux.
LA COUPE DU CHEIK
Le cheik porte toujours, suspendue à sa selle,
Une coupe d’argent, ciselée, et fort belle.
Or, l’anse en est mobile, et soutient un anneau
Où s’attache une corde ; et le cheik puise l’eau,
A cheval, sans descendre, en passant la rivière.
Ah ! l’eau pure ! au pays de la rude lumière !
Les rayons frais de l’eau ! rien n’est si précieux !
Et la coupe du vrai croyant dit à mes yeux :
Dieu vient dans le désert au cœur de l’homme sage
Comme l’eau s’offre aux yeux, apparue en mirage.
Cette eau qui vient tenter ta lèvre et ton regard,
Elle n’est pas là, non, mais elle est quelque part !
Homme, pauvre passant du désert de la terre,
Il faut bien que l’eau soit, puisque la marche altère !
Et la tombe est le puits où le cœur altéré
S’emplit enfin du Dieu si longtemps désiré.
Prépare donc ton âme à descendre avec joie
Dans la citerne sombre où la mort nous envoie,
Et, — que la coupe soit d’argent, ou d’or vermeil, —
Songe qu’elle remonte, emplie, au grand soleil,
Vers Dieu qui l’illumine et dont elle ruisselle !
Il sied donc qu’elle soit riche, — et qu’on la cisèle.
LA BOUCHE
Que nul usage vil ne souille votre bouche.
Que jamais rien d’impur n’y passe et ne la touche,
Et que chaque mot, même, y soit, en tout moment,
Saint comme le saint livre — et comme le froment.
Car la bouche est sacrée, ô roumis ! elle est faite
Pour la baraka sainte et le nom du prophète,
Pour dire : « Loué soit Dieu, l’unique adoré ! »
Et pour manger le don de Dieu : le pain sacré.
POLITESSE ARABE
Au ciel, — chrétien, — ta place est faite.
… Ah ! si vous vouliez dire un peu
Comme nous : « Il n’y a qu’un Dieu,
Et Mahomet est son prophète »,
Vous entreriez — je vous le dis —
Avant nous, dans le Paradis.
BAB’AZOUN
Bab’Azoun est poète et nègre.
Il danse en donnant de la voix ;
Et la musique n’est pas aigre,
Qui sort de sa lyre de bois.
Elle est grave et sourde au contraire.
O Bab’Azoun, mon cher confrère,
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Je voudrais être en bois d’ébène,
Sinon en lapis-lazuli…
Mais j’y perds mon temps et ma peine :
Je reste blanc, — et pas joli…
Personne ne dit le contraire,
O Bab’Azoun, mon cher confrère !
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Ta lyre, vieille calebasse,
Moitié guitare et violon,
N’a qu’une unique corde, basse,
Un archet court, un manche long,
Et ça suffit à te distraire,
O Bab’Azoun, mon cher confrère…
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
La lune te plaît comme un rêve,
Le soleil comme un bon vivant !
Qu’un chrétien meure ou qu’un chien crève,
Tu ne t’attristes pas souvent !
On est noir, mais pas funéraire !
O Bab’Azoun, mon cher confrère,
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Ce que tu chantes, je l’ignore,
Sans doute que, comme nous tous,
Tu redis le ciel et l’aurore,
L’amour, les fleurs… et le couscous !
Mais tu t’édites sans libraire.
O Bab’Azoun, mon cher confrère,
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Tu n’es pas propre et l’on s’en doute ;
Tu t’es fait de vilains bas blancs
Avec la poudre de la route,
Mais — ô jours troublés et troublants ! —
La saleté, c’est littéraire !
O Bab’Azoun, mon cher confrère,
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Ce que dit Sarcey, le critique,
Tu t’en moques comme de ça,
Et je crois ton rire sceptique
Quand tu dis : « Joli, moi, Moussa ! »
Tu crois qu’un âne est fait pour braire !…
O Bab’Azoun, mon cher confrère,
Je t’admire, — et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Bab’Azoun, quelle est ton histoire ?
Elle a donc voulu le désert
Entre elle et toi, la vierge noire
Par qui ton cœur nègre a souffert ?
Tu n’es qu’amoureux honoraire,
O Bab’Azoun, mon cher confrère !
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Va, la peau ne fait pas le moine !
Tout cheval, même de labour,
A son moment d’orge ou d’avoine…
Retiens donc ce conseil d’amour :
Pour être heureux, sois téméraire !
O Bab’Azoun, mon cher confrère,
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Tu quittas le Soudan barbare
Respecté des Touaregs hardis
Parce qu’ils aimaient ta guitare ?
Tu crois ça, toi ? mais moi je dis :
Parce que noir sans numéraire,
O Bab’Azoun, mon cher confrère !
Je t’admire et t’envie un peu :
Je voudrais être noir… ou bleu !
Tiens, Bab’Azoun, j’ai de la peine !
Partons, frère, pour Tombouctou,
Retrouver ta vierge d’ébène !
Marche ! et je te suivrai partout
Pour te chanter et te pourctraire,
O Bab’Azoun, mon cher confrère !
Je t’admire et t’envie un peu :
Car je ne suis ni noir… ni bleu.
LA GAZELLE
Gazelle, gazelle, gazelle,
Ma gazelle, vous avez l’air
D’une petite demoiselle.
Votre œil profond est doux et fier.
Vous êtes frêle, délicate,
Avec un si joli museau,
La finesse de votre patte
Et vos jambes en fin roseau.
Gazelle, gazelle mignonne,
Vous avez l’air, — eh ! oui, vraiment ! —
D’être une petite personne…
Quel rêve emplit votre œil aimant ?
Gazelle, adorable gazelle,
Gazelle, je sais, quelque part,
Une mignonne demoiselle
Dont vous imitez le regard.
Elle a, comme vous, une grâce
Fragile ! on craint de la briser !
Pour elle, on craint, lorsqu’on l’embrasse,
Le mal que peut faire un baiser.
Que vous avez, lorsqu’on vous touche,
Gazelle, de jolis frissons !
Un oiseau n’est pas plus farouche.
Cependant, nous nous connaissons !
Et vous prenez l’herbe fleurie
Que vous tend ma terrible main !
Ne fuyez pas, je vous en prie,
Ma gazelle au grand œil humain !
C’est une si profonde joie,
Où se mêle un si tendre orgueil,
De toucher votre fine soie
Et de baiser votre grand œil.
Quand votre bouche fraîche, humide,
Cherchant des fleurs, me frôle un doigt,
On dirait un baiser timide
Qui rêve, ne sachant s’il doit.
Et l’on pense : « Elle est si petite
Qu’elle a peur ! Oh ! si tu voulais,
Tu serais bien loin ! et bien vite !
Mais tu restes là… je te plais ? »
Gazelle, gazelle, gazelle,
Je suis bien fier d’apprivoiser
Une petite demoiselle
Avec mes fleurs et mon baiser !
LA DANSE DE L’ABEILLE
Prise, par une abeille,
Pour un rosier en fleur,
Merveille
De grâce et de couleur,
Zorah danse, et, du voile,
La chasse, — et son regard
D’étoile
La poursuit au hasard.
Et l’abeille chantante
Dit : « Ce rosier fleuri
Me tente ! »
Et Zorah pousse un cri !
Une rose, l’oreille
De la belle Zorah !
L’abeille,
Chassée, y reviendra.
Le voile aussi voltige !
Et l’abeille poursuit
La tige
De son rosier qui fuit !
Où s’est-elle posée ?
La danseuse se sent
Baisée
Sur sa lèvre de sang !
Une rose, sa bouche
Que mouille une eau du ciel !
La mouche
Y vient chercher son miel !
Le voile qu’on lui lance
Manque l’insecte ailé !…
Silence !…
Où s’est-il envolé ?
« Ah ! c’est dans ma poitrine ! »
On dirait qu’un essaim
Butine
Les deux roses du sein !
Et Zorah, qui s’arrache
Du cou ses sequins d’or,
Se fâche,
Se sent piquée encor !
Zorah jette sa veste !
Même elle ôte, en dansant,
Le reste,
Car l’abeille descend !
Zorah, la belle fille,
Qu’un pantalon plissé
Habille,
Sur ses pieds l’a glissé !
Et l’abeille en maraude
Ne cherche plus ailleurs,
Et rôde
Sur la reine des fleurs !
Zorah gardant les poses
D’un effroi gracieux,
Ses roses
Nous enchantent les yeux.
On comprend qu’une abeille
L’ait pu trouver un jour
Pareille
Au rosier de l’amour !
STRELITZIA
RÊVE ORIENTAL
A Madame H. G. T.
Strelitzia, l’enfant solennelle et barbare,
Porte, sur son front fauve, un bandeau de sequins.
Le chaton de sa bague est une pierre rare.
Une étoile en saphirs orne ses brodequins.
Deux cathédrales d’or, pendant à ses oreilles,
Sonnent avec un bruit amoureux et guerrier.
On voit qu’elle est la reine au pays des merveilles.
Tous l’aiment, — jusqu’au nain, l’esclave familier !
Mais ce qui fait chanter le sonneur de guitare,
Le frappeur du tobol et de la darbouka,
C’est, dans ses noirs cheveux, une fleur très bizarre
Que, pour son air méchant, la reine remarqua.
Elle vit cette fleur, au bord d’un précipice,
S’ériger tout auprès d’un nid de serpents bleus…
Or, quand elle commande, il sied qu’on obéisse.
Cent noirs, pour une fleur, périrent sous ses yeux.
Celui qui la cueillit était — conte l’histoire —
Un charmeur de serpents, jeune mais renommé,
Qui, sifflant un air triste avec sa bouche noire,
La fit venir à lui comme un aspic charmé.
Sa main tremblait, lorsqu’il offrit la fleur étrange,
Qui, diverse en couleurs, douce cruellement,
Est d’un bleu violet parmi du rouge orange.
C’est un faisceau de dards. Un est bleu seulement.
Sans doute c’est celui qui peut blesser ! La teinte
Des autres vient du sang que celui-là répand.
Pour avoir vu la fleur, la reine eut l’âme atteinte,
La fleur rouge, faisceau de langues de serpent.
Sur ses cheveux très noirs, — bien droite sur sa tête, —
Hors de la gaine verte entr’ouverte à demi,
Elle planta la fleur indomptable en aigrette,
Symbole d’un défi d’orgueil à l’ennemi.
Puis elle fut, un jour entier, préoccupée…
Mais elle souriait encor, le lendemain,
Quand le noir, sur son ordre, eut la tête coupée,
Pour payer la faveur d’avoir baisé sa main.
Biskra, avril 1881.
LA ROSE DE BISKRA
L’océan de sable a de vrais rivages,
Plats, nus, désolés, — déjà le désert.
J’ai rencontré là deux enfants sauvages…
Rien autour de nous de frais ni de vert.
Au désert, la vie a soif, et se traîne,
Implorant l’eau, l’ombre, un peu de sommeil :
Et rien ne dit mieux la misère humaine
Que tant de néant sous tant de soleil !
Rien autour de nous que la plaine rousse ;
Plus d’oiseaux, sinon un seul cependant,
Qui s’élève avec une gamme douce,
Douce, — et qui se pose en la descendant.
Et les deux petits, souillés de poussière,
N’étaient que douleurs, misère et haillons…
Oh ! pourquoi fais-tu, — Dieu de la lumière ! —
Misère pareille, avec tes rayons !
Ils passaient, muets, tristes, l’air farouche,
— Et sales !… c’était pitié de les voir.
Le garçon tenait un doigt dans sa bouche.
La fillette avait un petit miroir.
Les haillons faisaient un grand pli superbe,
Mais plein de vermine et d’impureté…
Pourquoi, Dieu, — qui prends souci d’un brin d’herbe ! —
Fais-tu la misère, avec ta clarté !
Et pour leur donner, — hélas ! peu de chose ! —
Quand je m’arrêtai près d’eux un moment,
Je vis qu’ils avaient chacun une rose,
Toute fraîche encor, sur leur front charmant.
L’oasis est loin, la fleur toute fraîche.
Où l’ont-ils cueillie ? et par quel bonheur,
Dans l’horrible plaine où tout se dessèche,
Le soleil a-t-il épargné la fleur ?
Oh ! même, il l’a faite avec la rosée !
Et les deux petits, contents de la voir,
Dans leurs noirs cheveux, vite, l’ont posée
Comme un gage sûr d’amour et d’espoir.
Rose consolante, ô rose divine,
Je sais d’où tu viens, fleur faite de jour !
Tout le sang des cœurs est dans ta racine.
La terre t’invoque en pleurant d’amour !
La misère humaine aspire à toi, Rose,
Luxueux parfum, splendide couleur !
Tout le désert rêve une seule chose :
Une goutte d’eau pour faire une fleur !
Si l’on te niait, chaque grain de sable
Au fond du désert en témoignera :
Je t’ai vue un jour, Rose impérissable
Que Dieu fait fleurir dans le Sahara !
REBECCA
Ayant pris dix chameaux du troupeau de son maître,
Le serviteur du vieil Abraham s’en alla.
Or, un ange devait à cet homme apparaître,
Disant : « Celle que cherche Abraham, la voilà ! »
Car Abraham voulait, pour son fils, une amie…
Les dix chameaux, étant chargés d’étoffe et d’or,
S’en allèrent tout droit en Mésopotamie,
Et l’homme vit, un soir, la ville de Nachor.
C’était l’heure où, parmi les ombres incertaines,
Quand le soleil rougit, plus bas que l’horizon,
Leur cruche sur l’épaule, allant vers les fontaines,
Les filles des cités sortent de la maison.
Le messager s’assit près d’un puits, hors la ville,
Et fit s’agenouiller alentour son troupeau ;
Puis, priant dans son cœur, il attendit, tranquille,
Les filles qui venaient emplir leurs cruches d’eau.
— « Seigneur Dieu d’Abraham, gardez de toute embûche
Mon vieux maître et son fils, moi-même et ma tribu !
Celle à qui je dirai : Fais-moi boire à ta cruche,
Et qui répondra : « Bois !… tes chameaux ont-ils bu ? »
« Que celle-là, Seigneur, soit, — je vous prie en grâce ! —
Celle qui doit me suivre en Chanaam demain,
L’épouse d’Isaac, la mère d’une race !…
Seigneur, amenez-moi celle-là par la main ! »
Il dit, et voit, quittant d’un pas lent la fontaine,
Une vierge, une enfant, belle, agréable à Dieu…
Or, c’était Rebecca, dont la cruche était pleine.
— « Penche, dit-il, ta cruche, et fais-moi boire un peu. »
Elle, alors, abaissant, de l’épaule à la hanche,
Sa cruche, sur son bras replié lentement,
Aux lèvres du vieillard qui boit, elle la penche,
En regardant monter la lune au firmament.
— « Maintenant, abreuvons vos chameaux, » lui dit-elle,
Et prompte à verser l’eau de sa cruche aux canaux,
Tirant à plusieurs fois du puits une eau nouvelle,
La nièce de Laban donne à boire aux chameaux.
Or, l’homme contemplait la vierge sans rien dire,
Se demandant en lui si Dieu parlait ou non ;
Puis son front soucieux s’éclaira d’un sourire :
Il lui fit un présent et demanda son nom.
— « Le père de son père est frère de mon maître !
Loué soit Dieu ! dit-il ; mon voyage est heureux ! »
Il alla les trouver, et, s’étant fait connaître,
Il leur donna tous les présents portés pour eux.
Les chameaux déchargés, on soigna leur litière ;
On leur donna la paille et le foin pour la nuit ;
Puis on lava ses pieds tout blanchis de poussière,
Et les pieds de ceux-là qui vinrent avec lui.
Des anneaux d’or aux bras, des boucles aux oreilles,
Rebecca quitta donc Laban et Bathuel…
Or, à l’heure où le soir fait les cimes vermeilles,
Isaac l’attendait, en regardant le ciel.
En regardant, au bas du ciel, la belle Étoile,
Il vit venir au loin les chameaux espérés :
Rebecca, l’ayant vu, se couvrit de son voile.
Elle entra dans sa tente. Il avait dit : « Entrez…
« Entrez, car c’est ici que demeure ma mère… »
Et plus tard, quand mourut la mère de l’époux,
L’épouse lui rendit la douleur moins amère,
Tant l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre était doux !
L’AUTRUCHE
Mansour, le cavalier qu’un ramier ne peut suivre,
A le cœur pris d’amour pour la juive Sarah.
Comme il n’est pas aimé, Mansour ne veut plus vivre,
Et comme elle n’est pas voilée, — il en mourra.
Les cheveux de Sarah sont plus noirs que la robe
Du cheval de Mansour noir comme le corbeau.
Il est pauvre. — Elle est riche et son cœur se dérobe.
Elle est à qui lui fait le présent le plus beau.
Sarah porte, au sommet de sa tête si brune,
Un bonnet d’or, — pointu, — d’un merveilleux travail ;
Ses jambières sont d’or ; mais, malgré sa fortune,
Elle ne peut avoir… quoi donc ? — Un éventail !…
Oh ! mais un éventail fait de plumes d’autruche,
De certaine grandeur, de certaine couleur !
Elle dit à Mansour, qui ne voit pas l’embûche :
« Va !… Je te donnerai mon baiser le meilleur…
« Vas au désert, chasser l’autruche bleue et rose,
Et reviens m’apportant les plumes que je veux !
Je n’aime pas qui dit : « Je ne peux » ou : « Je n’ose !… »
Sarah, devant Mansour, peigne ses longs cheveux.
Bleue et rose ! ô Mansour ! Une autruche pareille
Ne se voit pas souvent, même au fond des déserts !
Mais déjà ton cheval a redressé l’oreille…
Il connaît qui le monte et comprend qui tu sers !
Le cheval va souffrir puisque l’amour chevauche !
— « Ah ! se dit le coursier, mon maître n’est pas fin !
La juive au bonnet d’or n’a rien sous le sein gauche :
Allah ! l’espace est grand ! et le désir, sans fin ! »
Et les voilà partis dans le désert qui s’ouvre.
Ils vont. Le sable est mou sous les pas ralentis !
Ils vont. Le soleil darde, et la sueur les couvre.
Leur désir les devance !… Oh ! comme ils sont partis !
Sa gourde, pleine d’eau, suspendue à la selle,
Mansour, son long fusil sur l’échine, en travers,
Vole, — et son beau cheval aux jambes de gazelle
Déjà rêve une source au pied des dattiers verts !
Le sable roux ressemble au cuivre en feu des cruches
Que les femmes, le soir, vont plonger dans les puits.
Il a soif, le cheval du fort chasseur d’autruches !
Il rêve à la rosée, à la fraîcheur des nuits !
Mais Mansour a raison de respecter sa gourde !
Mansour ne doit pas boire : on est en Ramadan :
« Je boirai plus tard… Puis, ma gourde n’est pas lourde !
Mon cheval voudrait bien un peu d’eau, cependant…
« Pas encor, mon cheval ! Encor quinze ou vingt lieues !
Il faut la rencontrer demain, au point du jour,
L’autruche merveilleuse et rose, aux ailes bleues !
En avant ! » dit Mansour, le cavalier d’amour !
Ils vont. Le soleil darde. Enfin, Mansour s’arrête.
« On boirait le désert, si le sable était d’eau ! »
Il boit donc, déjà traître à la loi du Prophète.
Il boit, — et mouille un peu son cheval au naseau.
Ils repartent. La soif affolante les ronge.
Mais Mansour, dont la fièvre a fait les yeux brillants,
N’a-t-il pas, dans le sac de cuir où sa main plonge,
Un peu d’une eau de flamme interdite aux croyants ?
Il songe : « Gardons l’eau pour mon cheval fidèle ! »
Et boit. — Dès qu’il a bu deux gouttes d’eau de feu,
L’autruche bleue et rose apparaît… oui !… c’est elle !…
« Oh ! fait Mansour, Allah Akbar !… Attends un peu ! »
Mais elle n’attend pas ! Elle est loin, pour la balle !
Et de l’angle pointu de son large étrier,
Ensanglantant la chair du cheval qui s’emballe,
Mansour se sent venir le cœur d’un meurtrier !
Plus vite, bon cheval ! vite ! et plus vite encore !
… Le sable n’est plus même effleuré par ses pas !
Bouche ouverte, il boit l’air ; l’espace, il le dévore !
Et l’autruche, s’aidant des ailes, court là-bas.
Ses deux orteils géants laissent leur lourde marque
Sur le sable, où parmi des alfas et des diss,
Son aile ouverte au vent, elle a l’air d’une barque…
Encor cent pas, Mansour ! Encor vingt !… Plus que dix !
« Le désert, dit Mansour, est donc infranchissable ? »
Oui ! ton cheval faiblit… Arrête-toi, Mansour !
Moins terrible est la mer que l’océan de sable !…
Mais, l’amour est aveugle ; il va ! Le cœur est sourd…
Le cheval a faibli sur son jarret si ferme !…
Heureusement le soir gagne le firmament,
Et, comme un disque d’or dans un coffre qu’on ferme,
Le soleil sous le sable a plongé brusquement.
Ils ont couru deux jours ! Et, deux nuits, côte à côte,
Ils ont dormi, la fièvre au sang, le sang aux yeux,
Et, comme un pauvre esquif perdu dans la mer haute,
Ils ont jugé leur route aux étoiles des cieux.
Quelques fruits de dattier dans un sac, un peu d’orge,
Ils ont vécu sans boire et presque sans manger.
Le sable respiré met l’enfer dans leur gorge…
Ils repartent… L’amour ne hait pas le danger.
Chaque matin, l’autruche est là, plus belle encore,
Dressant sa tête plate, érigeant un long col,
Plus bleue, et bien plus rose aux rayons de l’aurore…
Ils repartent… Leur course à tous trois est un vol !
C’est bien elle ! Son œil semble une grosse agate.
Où doit-il la frapper ? Car Mansour est adroit !
A la tête ? au flanc gauche ? ou lui casser la patte ?
Il la vise, — et remet toujours son fusil droit.
« Allah ! » Comme frappé d’une balle lui-même,
Le cheval de Mansour, mort, s’abat tout d’un coup !…
— Le cavalier, sanglant, vers son cheval qu’il aime
Se retourne, et lui met les bras autour du cou.
— « Ferme, mon beau cheval, tes grands yeux de gazelle !
L’amour fait, comme il veut, des cœurs faibles ou forts !…
Ma juive ressemblait à la lune nouvelle
Qui reviendra ce soir pour sourire aux deux morts. »
Il dit… croit voir Sarah… Son œil vague s’entr’ouvre,
Se referme… — L’autruche, un rêve, a fui bien loin.
La nuit monte. Un vent souffle… et le sable les couvre.
Mektoub ! — Le fond des cœurs n’a que Dieu pour témoin.
A BAB’AZOUN
J’ai fait des vers pour toi, bon nègre ;
Je veux t’en faire de meilleurs :
On y sentait l’ironie aigre,
Et je n’aime pas les railleurs.
Joyeux et noir porteur de lyre,
Je fais mon devoir en t’aimant,
Bab’Azoun, — Salem, veux-je dire, —
C’est vrai que je t’aime vraiment.
Trois notes, sur la corde unique
De ta lyre à l’archet courbé,
Te suffisent, noir sympathique,
Danseur qui n’es jamais tombé !
Tu ne connais qu’un saut de danse :
Un pied arrière, un pied avant ;
Mais tu martèles la cadence,
Et je te trouve assez savant.
Ton bon rire à belles dents blanches,
Sous tes lèvres de charbonnier,
Est un lys perdu dans les branches
Obscures du noir ébénier !
Et tu ris au tableau qui change
Dans l’univers toujours pareil,
En dînant tantôt d’une orange,
Tantôt d’un rayon de soleil.
Tu trouves que la rose est belle,
Autant, plus ou moins que Zorah,
Et Zorah, — tu danses pour elle,
En rêvant qu’elle t’aimera.
Ton art, c’est de rire à ton rêve,
De revoir la vie en trois sons,
De savoir qu’elle est simple et brève,
Et de danser à tes chansons.
Ton art, c’est d’être toi, sans honte,
Moitié nu, noir, et, propre ou non,
De ne chercher en fin de compte
Ni gros argent, ni grand renom !
Et cela, pourquoi ? pour distraire
Ceux à qui plaît… ce qui te plaît !…
Tu vois bien que je suis ton frère,
Moi qui suis plus blanc que le lait !
SALIM
En soixante-dix ans, Salim, homme au cœur pur,
Avait toujours marché vers le ciel, d’un pied sûr,
Si ce n’est que, sept jours durant, pour une femme,
Il avait oublié de surveiller son âme,
Et, sept nuits, détournant ses yeux du but divin,
Il s’était enivré de baisers et de vin.
Voilà. — Sa vie était, à l’âge où le front penche,
Blanche, et superbe à voir comme sa barbe blanche.
Au pli de son sourire on lisait la bonté ;
Comme un livre de sage il était consulté ;
Et sa parole d’or, comme un doux miel qui coule,
En la réjouissant pouvait nourrir la foule.
Dans ses yeux, on voyait, ensemble ou tour à tour,
La fraîcheur de l’eau pure et la splendeur du jour.
Il avait si grand cœur qu’étant dans la misère
Jadis, et n’ayant rien que le pain nécessaire,
Comme son ennemi mortel lui demandait
Un morceau de ce pain dans lequel il mordait :
« Prends, » dit-il, en ôtant le morceau de sa bouche,
Ce qui toucha si bien le mendiant farouche
Qu’il avait de ce temps, en tous lieux, publié
Que Salim était bon, juste et plein de pitié.
Mais une femme, un soir, belle comme une étoile,
Passa près de Salim en écartant son voile.
Il la vit, et connut la joie et le tourment
De vivre et de mourir cent fois en un moment,
De s’oublier soi-même et d’oublier le monde,
Et tout, — pour épuiser la volupté profonde ;
Et cet oubli de tout, au fond des voluptés,
Avait duré sept jours et sept nuits, bien comptés.
Il mourut. — Dans la mort, la justice commence.
L’ange du Châtiment et l’ange de Clémence
Le portèrent vers Dieu, disant : « Vois, celui-ci !
C’est un juste ! » — Un pervers ! Tous deux parlaient ainsi.
L’un, l’ange qui tenait Salim par le bras gauche,
Invoquant les sept jours, les sept nuits de débauche,
L’autre, à droite, invoquant les soixante-dix ans
De sagesse. Et sagesse et crime étaient présents.
Dieu dit : « Il faut peser cela, dans la Balance. »
La Balance apparut. Les anges, en silence,
Mirent sur un plateau les sept fois dix ans, — puis,
Dans l’autre, les sept jours de faute et les sept nuits…
On lâcha brusquement les chaînes entraînées…
La semaine fut plus lourde — que les années !
L’ange du Châtiment se réjouit, moqueur,
Mais l’ange du Pardon attendit en son cœur ;
Et Dieu, dans la clarté de sa justice immense,
Dit alors : « Prends ce pain, ange de la Clémence !
Prends le morceau de pain que Salim affamé
A son pire ennemi — pour me plaire — a donné !
Mets ce morceau de pain mordu — dans la Balance ! »
Cela fut fait encore au milieu du silence.
L’éternité muette attendit cet arrêt…
Et, les sept fois dix ans ôtés, — quand tout fut prêt, —
Le pain de la pitié suave et surhumaine
Se trouva plus pesant que la lourde semaine !
LES HIRONDELLES
A Pierre Valdagne.
Où vont mourir les hirondelles,
Tout Arabe vous le dira :
A la Mecque, que les fidèles
Ont appelée : Om el Kora.
A la Mecque, Mère des Villes,
Où jamais le pas d’un chrétien
N’a laissé ses empreintes viles,
Tout bon musulman le sait bien ;
Aux lieux où naquit le Prophète,
Et que salue à deux genoux,
En frappant le sol de sa tête,
Tout homme vêtu du burnous ;
C’est là que vont, à tire d’ailes,
Dès qu’elles sentent leur moment,
Mourir les libres hirondelles,
Coursières du bleu firmament.
Dans leur course à travers le monde,
Elles ont choisi ce tombeau,
Bien plus beau que la mer profonde,
Si beau que le ciel est moins beau.
Tout autour de la ville sainte,
Le sol est nu, c’est un désert…
Mais un désert dont elle est ceinte
Est plus beau qu’un champ d’orge vert !
Les pierres de sa plaine aride
Ont de merveilleuses couleurs,
Et son sable, que le vent ride,
Est plus beau qu’un genêt en fleurs !
La ville sainte est pure et blanche
Comme l’écume de la mer,
Ou comme, en avril, une branche
D’aubépine — au parfum amer.
C’est là que vont, à tire d’ailes,
Lorsqu’elles sentent leur moment,
Mourir les libres hirondelles,
Coursières du bleu firmament !
On les trouve, l’aile fermée,
La nuit de la mort dans leurs yeux,
Et parfois la plaine est semée
De leurs doux cadavres soyeux.
Le soleil sèche, sous la plume,
Les petits corps, les petits os,
Et l’Arabe, pieux, allume
Son foyer — avec ces oiseaux.
Il n’a ni racines ni branches
Pour faire un brasier, au désert,
Mais des plumes noires et blanches…
Heureux celui dont la mort sert !
Allah ! béni soit ton prophète !
Béni soit Allah, le seul Dieu…
Lorsque sa destinée est faite,
L’hirondelle devient du feu.
Et vers la Mecque, à tire d’ailes,
Lorsqu’elles sentent leur moment,
Volent les libres hirondelles,
Coursières du bleu firmament.
PAROLES DU PAUVRE ARABE
Que m’importe à moi la fortune ?…
La femme qui me rend joyeux
Tous les soirs est douce à mes yeux
Comme les rayons de la lune.
Elle m’est douce le matin
Comme Zorah, la Belle Étoile :
Très peu d’hommes ont vu son voile :
Nul n’a vu son front enfantin.
Nous vivons libres sous la tente,
Dans les genêts, au pied des monts ;
Nous nous aimons, et nous aimons
La nuit douce et l’aube éclatante.
Je n’ai pas même de cheval,
Point de chameaux et pas de chèvre.
Mais ma belle est douce à ma lèvre
Comme l’eau pure au fond du val !
Toutes les étoiles sont nôtres
Aussi bien qu’au cheik de Biskra,
Et j’attends l’heure où Dieu voudra,
En gardant les troupeaux des autres.
Mais, les troupeaux du firmament,
Les étoiles, à qui sont-elles ?
Et pour qui sont-elles plus belles
Que pour moi — qui vis pauvrement ?
Mon sang est rouge dans mes veines,
Et — crois bien ce que je te dis : —
Je préfère mon paradis
A toutes vos fortunes vaines.
Allah (loué soit le seul grand !)
Mettra sur nos tombes voisines
Les mêmes chardons pleins d’épines,
Si tu suis l’ordre du Koran,
Et l’on verra, sur nos deux tombes,
Deux trous, dans la pierre creusés,
Où boiront les oiseaux posés,
Les passereaux et les colombes,
Car notre destin est pareil,
Et Mahomet veut que la pierre
Des morts — qu’a lassés la lumière —
Serve aux oiseaux, las du soleil.
LE CIMETIÈRE
Le cimetière où je vivrai
De la vie heureuse des choses,
Sera plein de lys et de roses :
Un jardin touffu comme un pré.
S’il n’a point de roses, n’importe :
Il sera plein de hauts chardons ;
L’herbe folle des abandons
Vivra de ma poussière morte.
Il sera, j’espère, pareil
A ceux des enfants du Prophète,
Où les oiseaux chantent la fête
De l’eau, de l’ombre et du soleil.
Là, sur la tombe en pierre blanche,
On a creusé pour les oiseaux
Deux trous où s’amassent les eaux,
Où la tourterelle se penche.
L’Arabe y verse l’eau des puits
Quand l’eau du ciel est épuisée :
Par ces deux yeux, — pluie ou rosée, —
Les tombeaux regardent les nuits.
Sous l’herbe épaisse qui les voile,
On voit, mystérieux et beaux,
Dans la nuit briller ces tombeaux
Où repose une double étoile.
Le mort semble dire au passant :
« Moi, je ne verrai plus l’aurore…
Mais tout doit vivre, aimer encore :
Oubliez-moi, je suis l’absent !
« Oubliez ceux qui sont des âmes,
Vivez, vous qui traînez les corps !
Aimez-vous en paix sur les morts,
Jeunes hommes et jeunes femmes !
« Vous qui connaissez le désert
Où la soif horrible — torture,
Donnez aux oiseaux de l’eau pure,
Et l’ombre d’un grand chardon vert ! »
C’est pourquoi les tombeaux fidèles,
Le jour, sont pleins d’oiseaux posés,
Et, la nuit, d’un bruit de baisers
Et de petits battements d’ailes.
FANTASIA
En avant, mon cheval, aïa !
Fantasia !
Les deux tribus vont en découdre.
Drus, ondulants comme des blés,
Les cavaliers sont rassemblés.
On va faire chanter la poudre !
Aïa, aïa !
Fantasia !
L’une vers l’autre, les deux troupes
S’élancent, ayant pris du champ…
Elles volent, — se rapprochant !…
Crinières, dos, visages, croupes !
Aïa, aïa !
Fantasia !
Arrivés face à face, halte !
Brusquement, on s’est arrêté :
Chacun, — son coup de feu jeté, —
Pousse un cri, repart et s’exalte !
Aïa, aïa !
Fantasia !
Chacun se débat comme quatre.
Tromblon, pistolet, mousqueton,
Comment donc les recharge-t-on ?
On est toujours prêt à combattre !
Aïa, aïa !
Fantasia !
C’est un vrai tableau de la guerre ;
On se heurte, on se brave, on fuit,
On tombe, on hurle. Cris et bruit.
On se blesse, mais ce n’est guère !
Aïa, aïa !
Fantasia !
Cette mêlée en gaîté joue
Avec la flamme, avec le fer ;
Plus d’un fusil, qu’on lance en l’air,
— Tout en courant, — retombe en joue :
Aïa, aïa !
Fantasia !
On se mêle, on reprend du large ;
Hommes et chevaux sont ardents :
Des mains, du pied, avec les dents,
On charge, on décharge, on recharge !
Aïa, aïa !
Fantasia !
On se fusille en plein visage,
On se brûle barbe et sourcils ;
Les moins noirs sont les plus noircis !
Les moins braves font du courage !
Aïa, aia !
Fantasia !
C’est un fourmillement de bêtes.
L’une se cabre, l’autre court ;
L’autre, au galop, s’arrête court !…
Les cent autres font des courbettes.
Aïa, aïa !
Fantasia !
Avec leurs jambes de gazelles,
Sous les blancs burnous envolés,
Tous les chevaux semblent ailés !
Tous les cavaliers ont des ailes !…
En avant, mon cheval, aïa !
Fantasia !
LE CADI
Le plus sage se trompe ; un enfant le confond ;
Dieu seul peut être juste : il voit les cœurs au fond ;
C’est pourquoi la clémence humaine est chose sainte.
Un bon juge est toujours plein de trouble et de crainte,
Sachant qu’il ne peut pas être juste longtemps,
Fût-il sage parmi les sages éclatants.
Tel est un bon nageur, si bon qu’on le proclame,
Adroit et fort, habile à bien couper la lame,
Mais qui seul au milieu des grands flots inconstants,
En pleine et haute mer ne nage pas longtemps.
On raconte qu’Ali-Shérif était si sage
Qu’on le nomma cadi (juge) dans son grand âge.
— « C’est pour te faire honneur, ami, dit le sultan,
Et pour aider à la justice… Es-tu content ? »
Mais le sage, frappant du visage la terre,
S’écria : « J’ai vécu ma longue vie austère,
Juste, dit-on, mais seul ! — j’ai respecté la loi…
Mais je n’ai point jugé d’autres hommes que moi !
Oh ! par pitié, grand Dieu ! (secours-moi, saint Prophète !)
Si j’ai su vénérer la justice parfaite,
Épargne la misère à ton vieux serviteur
De punir l’innocent, de louer l’imposteur,
Et cela pour avoir trop aimé la justice !
O Dieu ! que ta bonté suprême compatisse !…
Ne me condamne pas à ce terrible honneur ! »
Et ce vieillard mourut, exaucé du Seigneur.
EAU DE ROSE
Eau de rose de l’Orient,
L’enfant à qui l’on te destine
Va t’accueillir, en souriant
Avec sa bouche d’églantine.
Son doux teint d’ambre, velouté,
Est celui de la rose-thé
Où court, en ombre purpurine,
Le sang même de la beauté,
Et toute sa personne fière
A, dans ses joyeux dix-sept ans.
Cet air de reine du printemps
Qu’on voit à la rose trémière.
Va donc, parfum ; va, goutte d’eau,
Perler sur cette fraîche peau.
Comme sur la rose baisée
Perle la goutte de rosée.
Sois accueillie en souriant…
Tu seras pourtant peu de chose,
Eau de rose, — pour une rose,
Eau de rose de l’Orient.
L’INCONNU
A Émile Trélat.
Le roi marchait, suivi de toutes ses armées,
Seul, en avant de tous, magnifique et puissant,
Et son cheval, pieds hauts, narines enflammées,
Bondissait, et mordait le mors teinté de sang.
Son peuple avait vaincu par la force et le nombre ;
C’était un Salomon jeune et beau, sans pareil ;
Cent mille chevaucheurs suivaient sa petite ombre.
En faisant ondoyer sa puissance au soleil.
Au-dessus des lampas, lamés d’or et de soie,
Que traînaient derrière eux les coursiers batailleurs,
Ses étendards semblaient secouer de la joie,
Comme les hauts palmiers dans la saison des fleurs.
La terre s’envolait en nuage de gloire
Sous son piétinement formidable et nombreux,
Et le chant de sa paix comme de sa victoire
Faisait fuir au désert les grands lions peureux !
Or, tandis qu’il marchait en avant, seul en tête,
Un inconnu surgit devant lui tout à coup,
Qui, de loin, lui cria : « Maître du monde, — arrête ! »
Et son cheval hennit et se dressa debout !
Quand les pieds de devant retombèrent à terre,
Le roi, qui le tenait pressé des deux genoux,
Fut surpris dans son cœur de se voir solitaire
En avant de ses gens qui le regardaient tous !
Plus surpris qu’indigné, le roi fit un grand geste
Comme pour appeler une armée au secours
Contre cette insolence étrange et manifeste,
Car l’inconnu parlait et menaçait toujours.
— « Arrête ! criait-il, puissant maître des hommes ! »
Et le roi se disait : — « Quel est donc celui-ci ?
Il a bien sa raison, s’il voit ce que nous sommes ;
Il est fou cependant de nous parler ainsi ! »
— « Arrête, ô très puissant ! car c’est moi qui commande ! »
Répétait l’inconnu, voilé de son burnous.
Et tous songeaient, devant une audace si grande :
« Quelqu’un est devant nous, de plus puissant que nous ! »
Sentant derrière lui la stupeur immobile,
Le maître répétait en vain : « Peuples, à moi ! »
Hommes, chevaux, fusils, tout restait inutile :
Les témoins n’étaient plus les serviteurs du roi !
Et l’inconnu saisit le cheval par la bride :
« Descends de ton cheval, cria-t-il, roi puissant ! »
— « Je me défendrai seul ! » dit le prince intrépide
Qui leva, haut et clair, son sabre menaçant.
L’autre, alors, avec un invisible sourire,
Prit dans sa main le pied du cavalier royal,
Hors du large étrier le tira sans rien dire,
Et renversa le roi du haut de son cheval !
Et les peuples muets, à ce spectacle étrange,
Voyant tombé ce roi si beau, si grand, si fort,
Dans l’inconnu voilé reconnurent un ange,
Et virent que c’était l’ange noir de la mort.
LE DÉPART DU JEUNE ARABE
A Chadly Baccouch.
Lorsque le jeune Arabe a quitté sa maison,
Et le ciel de Tunis pour un autre horizon,
Ses serviteurs, au seuil, s’étant rangés en troupe,
Une vieille, tenant dans sa droite une coupe,
Sortit d’au milieu d’eux… La coupe était d’argent,
Et dans l’eau claire, au fond, sous un rayon changeant,
Une piastre luisait, scintillait comme un astre.
Pour qui cette eau limpide et pour qui cette piastre ?…
Dès que les deux chevaux, touchés, firent un pas,
La bonne vieille femme, en marmonnant tout bas,
Versa l’eau brusquement derrière la voiture ;
Et si j’ai bien compris sa libation pure,
Elle disait : « O Dieu du soleil dévorant,
Puisse le jeune maître, ô Maître du Coran,
Ne jamais manquer d’eau ! l’eau pure c’est la vie.
Qu’il ait l’eau pour sa soif, ô Maître, à son envie,
Et que son jeune cœur reste pur comme l’eau ! »
Jamais je n’oublirai ce simple et beau tableau.
Pour la pièce, on la donne aux pauvres, sur la porte ;
Ce qui veut dire : « Avant que notre enfant ne sorte,
Pensons qu’un voyageur peut rester seul et loin,
Se perdre, et, même riche, être dans le besoin.
Puisse le nôtre, fût-ce au fond du désert triste,
Trouver, devenu pauvre, un pauvre qui l’assiste ! »
LA DANSE DU SABRE
Ils arrivent, le sabre au poing,
Un sabre courbe à large lame.
Le motif du duel ? — Une femme !…
Ils ne se ménageront point.
Le plus jeune dit : « Camarade,
J’ai le bras fort, je pique droit ! »
Le plus vieux dit : « Je suis adroit ! »
— La parade suit la parade.
Ils rusent. Chaque mouvement
Est une secrète menace.
Sous la grâce, la mort grimace…
La musique bat vivement.
La derbouka, forme de cruche,
Et le tobol, sont deux tambours
Qui, sous les doigts, roulent toujours
Comme le bourdon d’une ruche.
Musique sans fin. Pan ! tan ! pan !
Le vieux saute ; l’autre s’apprête
A lui trancher d’un coup la tête :
Le sabre effleure le turban !
Pan ! tan ! pan !… ah ! la peau d’un âne,
Quand elle chante, va longtemps !…
Le barbon dit au jeune : « Attends !
Je vais te fendre en deux le crâne ! »
Mais l’autre, sous son sabre arqué,
Défend son turban et le reste.
Ah ! çà ! lequel est le plus leste ?
— Touché, cette fois !… — Non, manqué !
L’un, qui s’est baissé, se relève,
Quand l’autre le guette en rampant.
La ruse souple est un serpent ;
La vie, une danse du glaive.
On n’a pas besoin d’être mort
Pour être vaincu dans la lutte.
Un faux pas suffit, une chute…
Le mieux dansant, c’est le plus fort.
L’amoureuse est là, dans la foule,
Celle pour qui le duel a lieu :
La panthère regrette un peu
De ne pas voir du sang qui coule.
Ce vieux l’ennuie en vérité !
Pourquoi n’est-ce là qu’une danse ?
La derbouka roule en cadence ;
Le tobol n’a pas arrêté.
Sachez donc (c’est le fond du drame)
Que l’amoureuse, c’est Barka,
Celle qui bat la derbouka…
La musique a l’amour pour âme.
Le tobol n’est que confident
Aux mains de la vieille négresse ;
La derbouka saute et se presse ;
Le tobol la suit en grondant.
Et si la musique endiablée
Va si longtemps ce train d’enfer,
C’est qu’elle désire, — c’est clair, —
De voir la vieillesse essoufflée !
O femme, qu’on le veuille ou non,
L’homme saute ; l’amour le mène !
Et tu fais danser l’âme humaine
En grattant la peau de l’ânon.
LA NUIT DE MAI
Zorah, qui ne sait pas le français, pas du tout,
Ne pouvait pas comprendre et m’ennuyait beaucoup.
Et pourtant je voulais rester encor près d’elle,
Quoiqu’elle eût peu d’esprit, — parce qu’elle est très belle.
Joindre un plaisir pour l’âme au plaisir pour les yeux,
C’est le bonheur des saints, du poète et des dieux ;
Et pour avoir, avec Zorah, — dont rien ne trouble
Le cœur ni les grands yeux calmes, — ce plaisir double,
Je me mis à lui dire une Nuit de Musset ;
Et, sur la lyre d’or, passait et repassait
L’archet prodigieux de ce maître du Nombre…
Et je vis s’étoiler alors deux beaux yeux d’ombre,
Et Zorah, sans comprendre, a dit très doucement :
« Toi, chanter ? » Et, pour faire un accompagnement,
Me suivant rime à rime et syllabe à syllabe,
La Mauresque se mit à chanter en arabe.
L’ENLÈVEMENT DE KHEÏRA
Quand Nacer, fou d’amour, vint, d’accord avec elle,
Enlever, au désert, Kheïra, la plus belle,
— Pour s’enfuir avec lui, la fière Kheïra
De ses habits les plus somptueux se para.
Les étoiles des nuits, hier encor ses pareilles,
Voyant bien qu’elle était la reine des merveilles,
Pâlirent, — quand, au seuil de la tente, où l’amant
L’appelait, Kheïra se montra lentement.
Elle avait la fraîcheur des clartés de la lune ;
Sa peau, couleur de datte, était dorée et brune
Comme la perle d’ambre ou le rayon de miel
A l’ombre, mais tout pleins de la chaleur du ciel.
Noirs comme la nuit même, au-dessus de son voile,
Ses yeux, en leur milieu, brillaient d’un feu d’étoile,
Et sa paupière fauve, et ses cils, ses sourcils,
Ses yeux par le koheul agrandis et noircis,
Faisaient songer à la couleur de la panthère.
Chaque fois que son pied ferme posait à terre,
Tout son corps ondulait, de la nuque à l’orteil.
Le pas de la lionne amoureuse est pareil,
Lorsque, fière et tranquille, elle sent autour d’elle,
Veillant à leurs amours, son grand lion fidèle.
Et les anneaux des bras, hérissés de boulons,
Les khelakhels nombreux sonnant sur ses talons,
Le pendant sur l’oreille, aussi pesant que large,
Les chaînes de son cou, que décore et que charge
La boîte à talisman et le tube à koheul,
Et le bandeau qui fait son bruit à lui tout seul,
Étant fait de sequins qui couronnent la tête
Lourde de faux cheveux tressés en poils de bête,
Et la cuirasse, autour de la taille, en argent,
Tout cela reluisait, jetait un feu changeant,
Du front fauve au pied teint de henné rouge orange,
Sonnait à chaque pas d’une manière étrange,
Et le cœur de Nacer tressautait amoureux
A ce bruit d’ornements qui se choquent entre eux.
Grâce au charme versé par Zizah la négresse,
Tous les slouguis dormaient, à demi morts d’ivresse ;
Le grand silence était profond comme la nuit,
Et le mehari blanc peut approcher sans bruit,
Qui devait emporter, de son large pas souple,
Si rapide, — au pays de l’amant, — l’heureux couple.
Et Nacer un moment fut comme épouvanté
Devant tant de hauteur, de charme, de fierté,
De mystère, et crut voir plus et mieux qu’une femme :
Une idole, — acharnée à lui ravir son âme, —
Surtout quand, pour offrir aux pieds de Kheïra
L’habitacle où l’heureuse idole trônera,
Le chameau, comme s’il adorait la plus belle,
Vint plier lentement ses genoux devant elle.
L’AMOUR DE MON AMIE
L’amour de mon amie est tombé sur mon âme
Comme une fraîche pluie après un jour de flamme,
Et mon cœur, abreuvé d’elle, s’est réjoui.
Étoile du matin, dont je suis ébloui,
Tes feux ont la douceur de l’ombre matinale.
O Kheïra, ma belle, à beauté sans égale,
Brillante comme un astre et bonne comme l’eau,
Ton rire fait le bruit enchanteur d’un ruisseau
Qui coule à l’ombre, au fond d’un jardin, sous les palmes ;
La nuit tranquille, humide, habite en tes yeux calmes,
Et mon cœur embaumé de roses et de lys
Du jour où tu m’aimas fut comme une oasis.
A KHEÏRA
La source du bonheur a fécondé ma vie.
Elle coule en ruisseaux dans mon âme ravie,
Et c’est l’amour de ma maîtresse ; et, chaque jour,
Chaque nuit, je m’abreuve à ma source d’amour.
Ma vie est un jardin où la volupté pousse ;
Ma Kheïra que j’aime est si belle et si douce
Qu’on peut la comparer au frais rayon de miel
Fait de mille parfums par l’abeille du ciel…
Ta beauté, Kheïra, ma douce bien-aimée,
Par les hommes, par les femmes est proclamée,
Visible à tous les yeux comme tout ce qui luit,
Comme l’aurore et les étoiles de la nuit.
Elle est, — comme l’étoile et la lune — éclatante.
Quand tu parais, le soir, sur le seuil de la tente,
L’étoile te sourit comme à sa jeune sœur.
Le croissant de la lune a ta calme douceur,
Le jasmin ton parfum et la rose ta grâce ;
Ta peau ressemble à l’ambre, ô fille de ma race,
A la datte mûrie à peine, au miel doré,
Au rayon de soleil dans l’eau fraîche miré,
Et lorsque mon baiser mystérieux te touche
J’ai des fleurs à la fois et des fruits sous ma bouche,
Et je suis réjoui dans ma soif et ma faim.
Les anneaux de tes pieds, tes khelakhels d’or fin,
Font, à leur bruit, sauter mon cœur dans ma poitrine !
J’aime, ô ma Kheïra, ta démarche féline
Belle comme une danse au calme mouvement
Qui fait saillir tous les contours d’un corps charmant.
Ta taille se balance ainsi qu’un palmier souple.
Tes seins sont deux ramiers que l’amour même accouple,
Ta lièvre est une rose, et ton corps un rosier.
Et pourtant, Kheïra, ton regard meurtrier
Est comme un trait tendu sur l’arc de tes paupières !
Et par instants je porte envie aux froides pierres,
Car je suis, Kheïra, si plein de ton regard,
Que, loin de toi, je n’ai de repos nulle part.
Tout heureux que je suis, ton souvenir me ronge :
J’ai soif de ta beauté que je revois en songe,
Comme la caravane en feu, dans le désert,
Ayant soif d’ombre et d’eau, rêve un mirage vert !
LE BRULE-PARFUMS
DES SOUCKS DE TUNIS
La rue, — un tortueux labyrinthe voûté,
Tout empli d’une ombreuse et diffuse clarté, —
Entre les murs gauchis est tortueuse, étroite,
Et, tout le long des murs, s’ouvrent à gauche, à droite,
Nous offrant les produits divers de tous les arts,
Pressés l’un contre l’autre, engageants, les bazars,
Bondés, profonds, nombreux, — alvéoles de ruche.
Harnois rouges et or, peaux de bête, œufs d’autruche,
Sabres damasquinés, nacres, miroirs, tapis,
Tout brille ; et les marchands, sur leur natte accroupis,
Semblent de faux vendeurs qui proposent du rêve.
De temps en temps, porteur d’un brasier, d’où s’élève,
Avec de la fumée, un fort parfum d’encens,
Un jeune homme circule au milieu des passants ;
Entrant, sortant, de l’une à l’autre des boutiques,
Sans déranger et sans étonner les pratiques,
Il vient mêler, au rêve inouï des couleurs,
Des mille objets divers vivants comme des fleurs,
Le songe d’un parfum qui s’élève en nuage.
Voilà bien mon destin, poète, et mon image :
Charmeur, — indifférent à tous, — du sort commun,
Je brûle de mon âme et j’en fais un parfum.
YOU ! YOU ! YOU !
You ! you ! you !… Plus les cris sont aigres,
Plus on est agréable à Dieu !
Ils sont là dix ou douze nègres
Qui semblent danser dans du feu.
Trois d’entre eux font de la musique ;
Les autres dansent follement
Une danse d’épileptique
Digne de l’accompagnement.
L’un — tous font grimacer leur masque, —
Heurte un thebel avec du bois ;
L’autre frappe un tambour de basque ;
L’autre siffle dans un hautbois.
Dansez ! hurlez ! sonnez ensemble,
Rhaëta, thebel et banndir !…
L’air frissonne et la terre tremble !
Il faut crier, hurler, bondir !
Gorge au vent et poing sur la hanche,
Saute une femme au milieu d’eux,
Noire comme une âme de blanche,
Belle parce qu’ils sont hideux !
— « Dites-moi donc, ô noire belle,
Pourquoi ces danses, ces chansons ? »
— « L’enfant est mort, répondit-elle,
Et nous chantons, et nous dansons !
« Car son âme, douce colombe,
Vole à présent vers le seul Dieu !
Et nous dansons là, sur sa tombe !…
Adieu, mon fils, dit-elle, adieu ! »
Et comme prise de démence,
Étouffant sous des cris ses pleurs,
La jeune mère recommence
A bondir, folle de douleurs !
La source de vie est amère
Comme l’eau des déserts affreux…
Ton enfant est mort !… Danse, mère !
Il ne sera pas malheureux !
L’air frissonne et la terre tremble !
Il faut rire, danser, bondir !
Frappez ! hurlez ! sonnez ensemble,
Rhaëta, thebel et banndir !
CHEZ SOI
Le plafond, très blanc, semble un dôme de dentelle,
Des versets du Koran y sont brodés. Le jour
Est tamisé, charmant, ombreux, fait pour l’amour
Ou Dieu. — Dieu seul est grand. Ma favorite est belle.
Les petits vitraux bleus, rouges, dans le plafond,
Mêlent à l’ombre un gai rayon de rêverie.
Seuls ici, l’amour aime et la prière prie…
Laissons les travailleurs faire, au loin, ce qu’ils font.
Mon nègre, apporte-moi ma pipe à gros bout d’ambre ;
Sur le plateau de cuivre, un café noir, épais.
Je veux, fils du soleil, vivre d’ombre et de paix,
Et faire un paradis des divans de ma chambre.
Le jet d’eau musical, qui bruit dans la cour,
Répand dans la maison une fraîcheur sonore ;
Il prétend que partout ailleurs, depuis l’aurore,
L’air lourd semble exhalé par la bouche d’un four.
Nègre, prends le tobol ! — Viens, Deïah !… Elle entre.
Ma danseuse sait bien ce que veulent mes yeux,
Et, bras levés, sous l’arc de son voile soyeux,
Aux sons lents du tobol elle agite son ventre.
Son ventre tressaillant se hausse, cadencé,
S’abaisse, — et je souris à sa grâce connue…
Puis, j’appelle Mirah, qui danse à demi nue…
Puis, c’est ma favorite… et le jour est passé.
La pipe au tuyau long s’échappe de ma bouche ;
Kheïra me sourit avec ses yeux de nuit.
Pour plaire à mon désir, quand j’approche elle fuit.
Le chasseur aime assez que l’oiseau soit farouche.
Sur le large divan tous les deux accroupis,
Je dis à Kheïra : « Kheïra, mon étoile,
Ce nuage me gêne ! »… Et j’arrache son voile,
Et ses longs vêtements roulent sur les tapis.
« Chante un peu, Kheïra !… c’est l’heure, ô perle brune,
Où Bulbul amoureux chante au fond des jasmins,
Dans l’ombre où les amants furtifs mêlent leurs mains,
Près de la source fraîche où se mire la lune ! »
Et sur le grand divan, après qu’elle a chanté,
Nous rions, — nous disons, nous faisons mille choses,
En mangeant des parfums, des jasmins et des roses,
Dans le charme enivrant des molles nuits d’été.
LE RHAPSODE
Il parle. Ses récits enchaînés sont très longs.
Et, dans le café maure, assis sur leurs talons,
Ayant à côté d’eux déposé leurs babouches,
Sans remuer les yeux ni desserrer les bouches,
La longue pipe aux doigts, le menton dans la main,
Tous écoutent, rêveurs. Ils reviendront demain ;
Hier, ils étaient là. Le conte les captive.
Ils tendent, jeunes, vieux, leur figure attentive,
Comme autour d’une source un troupeau de chameaux.
Ils boivent la sagesse et le doux bruit des mots
Qui coulent de la lèvre aimable du rhapsode.
Chacun, bien installé dans sa pose commode,
Fume le kief ou boit par instants son café,
En silence, sans geste ; et, dans l’air étouffé,
La parole du lent conteur bourdonne, égale
Comme la mouche à miel et comme la cigale.
Et l’étranger s’étonne, et le poète, heureux,
Voit le pouvoir des mots bien accouplés entre eux,
Et comment, en chantant l’épopée ou les drames,
La pensée et le rêve, — on possède les âmes.
LA POÉSIE
La belle poésie, en brillant, — comme une onde
Courante, fertilise et rafraîchit le monde,
Et, par elle baignés, les cœurs et les esprits
Deviennent des jardins et des vergers fleuris.
LA MORT
— « O serviteurs de Dieu, dit Sélim (Dieu l’agrée !)
L’horrible mort est là, vainement adjurée :
Elle est l’inévitable et l’effrayant destin.
Restez, elle vous prend ! et fuyez, elle atteint !
A tout ce que l’on fait, partout, elle se mêle.
Monte ton cheval blanc, ou ta fauve chamelle,
Et, comme le vent, cours ! Cache-toi dans la nuit !…
La mort s’est cramponnée à ta nuque, et te suit !
Et l’effroi dans le cœur, l’horreur dans les vertèbres,
Tu seras renversé dans le trou de ténèbres,
Dans le tombeau, fossé des fossés de l’enfer,
Dans le tombeau sans jour, où se traîne le ver,
Redoutable demeure, où, sous la terre obscure,
La désolation s’achève en pourriture !
A moins qu’étant un sage, on se réveille, — assis,
Sous les palmiers en fleurs d’une verte oasis.
LE BÉDOUIN
Loué soit Dieu, le seul bienfaiteur tout-puissant,
Dieu l’unique, toujours présent, partout présent !
Regarde le bédouin : sa hutte est en broussaille,
En faisceaux reliés par des liens de paille,
Et quand il sera mort, — comme les rois ! — pour lui
Comme pour eux, l’aurore et la lune auront lui.
Son chien qui le caresse et son bon petit âne,
Couchés à ses côtés, dorment dans sa cabane.
Son rude vêtement, flexible sur ses reins,
Est la chimbah qu’il tisse et coud avec des crins.
Du poil dur des chameaux il sait faire une tente ;
S’il se blesse, il se fait un baume avec leur fiente ;
Il a le musc de la gazelle, et tire encor
Un doux parfum des pins à la résine d’or.
Sa femme met pour lui des fleurs à ses oreilles ;
Le fruit des sauvageons et le miel des abeilles
Sont ses fruits et son miel, et tout l’espace est sien ;
En chasse, il fait chasser la gerboise à son chien ;
Et dans la lande, où l’on n’entend, dès la nuit sombre,
Que le cri des chacals qui viennent en grand nombre
Pour un os à ronger, se disputer entre eux,
Fier d’être pauvre et seul, ce bédouin vit heureux.
JÉSUS NOMADE
Jésus (le Salut soit sur lui !) disait souvent :
« J’ai le tronc des palmiers pour m’abriter du vent ;
D’un rayon de soleil je fais ma couverture ;
La lune claire est mon flambeau dans la nuit pure ;
Du poil des bestiaux mes habits sont tissus ;
Tous les fruits sont mes fruits, et, poursuivait Jésus,
L’eau fraîche des torrents est un miel pour ma bouche.
A l’endroit où la nuit me surprend, je me couche.
Je n’ai point de maison qu’on puisse mettre à bas.
Et je n’ai point d’enfants : mes fils ne mourront pas.
Je suis le pauvre heureux : celui qui vient au monde
Pour détruire et nier tout ce que l’orgueil fonde.
Le lys puise-t-il l’eau ? dès que l’aurore a lui,
Il se réveille et boit : la rosée est sur lui.
La terre le nourrit : quand est-ce qu’il travaille ?
Le libre oiseau du ciel récolte sans semaille,
Et si vous répondez qu’il a besoin de peu,
N’étant pas gros, je dis : Vaste est l’espace bleu
Sous lequel, au soleil, s’étend la terre immense ;
Et quand l’hiver finit, le printemps recommence,
Pour que l’âne et le bœuf, le cheval, le chameau,
L’homme, trouvent partout un brin d’herbe et de l’eau. »
LE CHIEN MORT
Jésus (que le salut soit sur lui !) vit un jour
Un chien mort, — et des gens attroupés alentour.
Ces gens, pour honorer Jésus, sur son passage
S’écartaient. — Or, la paix était sur son visage,
Et tous sentaient pour lui l’amour et le respect.
— « Vois, dit quelqu’un, ce chien est mort d’un mal infect. »
Un autre : « Tout son corps n’est qu’une plaie horrible. »
Un autre : « D’affreux vers l’ont percé comme un crible. »
Un autre encor : « Les poux mangent son dos pelé. »
Le cinquième : « Une bave immonde a découlé
De sa bouche puante et souille la poussière, »
Et tous, dans son orbite, hier beau de lumière,
Ne voyaient plus qu’un trou hideux, plein de néant.
Les entrailles coulaient du flanc vert et béant ;
L’horreur de l’agonie et de la mort soufferte
Semblait encor hurler par cette gueule ouverte,
Et tous, saisis d’un grand dégoût, crachaient dessus.
— « Oh ! ses dents !… on dirait des perles ! » dit Jésus.
A BISKRA
Activant leurs mulets — dont plus d’un s’abattra —
Par l’éperon qui blesse et le fouet qui harcèle,
Les bons hussards, actifs, et penchés sur la selle,
Filent grand train vers Biskra.
En avant ! — Et le fouet cingle, l’éperon pique.
On part. El Kantara. Rochers fauves et nus…
Enfin voici vraiment des aspects inconnus,
Et voici vraiment l’Afrique.
De la gorge aux rochers roux et nus, brusquement
On débouche ! et du seuil de cette porte ouverte
On voit, se découpant sur le sol roux, bien verte,
L’oasis, — îlot charmant.
Ses bords verts tranchent net sur cette terre rousse,
Cuite au soleil, bossue et couleur de chameau.
Plus loin, le sol partout poudroie, — et songe à l’eau,
Sans laquelle rien ne pousse.
Quelques touffes d’alfa, quelques jets de diss vert…
En avant ! la prolonge à grand bruit file et saute.
Voici le col de Sfâ. Brusquement, — de la côte,
On découvre le désert.
Le désert ! — l’infini. Rien. Des milliers de lieues
Dont l’œil ne voit jamais que ce qu’il en peut voir :
Un horizon borné, lignes d’or que le soir
Change en longues lignes bleues.
Mais on sait que là-bas cet horizon, pareil
A celui de la mer immense, c’est du sable :
Le Sahara rebelle et pourtant franchissable,
Trône et miroir du soleil.
Et l’esprit rêve, empli d’une terreur profonde,
A l’exiguïté des héros aux grands cœurs…
Que ton ombre est petite, race des vainqueurs,
Qui te soumettras le monde !
Et l’on songe à ceux-là qui, chaque jour un peu,
Conquièrent l’inconnu sur mille points du globe !…
Vainement, sous leurs pieds, le sable se dérobe…
Ils l’auront, le désert bleu !
En route ! — Assez rêver… On repart comme en songe,
Et, sur leurs fins chevaux, les enfants du pays
Galopent près de nous, Arabes et spahis…
Notre ombre à nos pieds s’allonge.
Oh ! que de cavaliers bondissant près de nous,
Autour de nous, tout près et là-bas ! plus de mille !
Le désert est battu comme un pavé de ville…
Voyez donc, que de burnous !
En avant, cavaliers ! courez ! la lande est large !…
Nuage de poussière et de burnous flottants,
Tout vole et tout bondit ! les hussards sont contents :
C’est la fureur d’une charge !
Tous les cœurs, entraînés dans ce torrent qui fuit,
Roulent sur les essieux, chevauchent sur les selles…
Au désert !… Par moments tous les cœurs ont des ailes !
Un souffle passe, on le suit.
Pas un qui regardât avec indifférence !
Tous sentaient, — arrivés devant l’espace ouvert, —
Que ce piétinement faisait, dans le désert,
De la poussière de France !
AU BORD DU DÉSERT
Les coteaux secs, rongés du soleil, pleins de trous,
Vont mourant vers la plaine en monticules roux ;
La plaine montueuse, où le désert commence,
C’est déjà l’abandon, la solitude immense.
On a, pour y venir, passé des monts affreux,
Où les maigres chacals se dévorent entre eux,
Tant l’âpre sécheresse y dépeuple la roche.
La désolation du grand désert est proche ;
Là, tout, l’oiseau lui-même, alouette ou perdrix,
Tout est couleur de sable ; — et pelés, fauves, gris,
Et bossus, les chameaux, en troupe ou solitaires,
Sont des morceaux vivants de ces étranges terres.
LE CONSOLATEUR DU DÉSERT
LE BOHRAH
Montueuse et rousse au soleil d’Afrique,
La terre poudroie en poussière d’or.
La colline proche a des tons de brique ;
La plaine lointaine est plus fauve encor.
Le désert s’étend, seul, infranchissable,
Devant nous : la mer ! mer morte et de feu ;
Ici toute chose est couleur de sable ;
Sur le désert roux, le ciel rude est bleu.
Le désert s’ennuie : il est solitaire,
Il n’a pas de fin, et l’oiseau le fuit ;
Le sable voudrait être de la terre !
Il a soif le jour, il a peur la nuit.
Le désert est seul, le désert est morne :
C’est l’inconsolable et l’inconsolé.
L’oasis est rare au désert sans borne…
L’oiseau qui voyage est vite envolé !
Mais le Dieu d’amour partout aime et veille.
L’amour, qu’on a dit méchant et moqueur,
Dans le grand désert sans voix, sans oreille,
Inspire un oiseau, chanteur au grand cœur.
Un oiseau plaintif, qui voulait sans doute
Traverser la plaine, — où le sol mouvant,
Sous le pied qui passe, efface la route,
Le désert où rien de bon n’est vivant ;
Un oiseau, touché d’une pitié douce,
Un oiseau chanteur, un oiseau sacré,
Dit au pauvre sol sans herbe ni mousse :
« Tout a fui d’ici… moi, j’y resterai !
« J’y resterai seul, comme une âme aimante
« Fidèle aux douleurs que le monde fuit,
« Et je braverai l’horrible tourmente,
« Et la solitude affreuse, et la nuit !
« Je serai la voix (que l’on croit perdue !)
« Menue et profonde au fond du désert…
« Je consolerai toute l’étendue :
« Le plus humble cœur est grand, quand il sert ! »
Et si le chameau d’une caravane
Tombe, pour mourir, sur ses deux genoux ;
Si, resté tout seul sur le sable plane,
Il ferme au soleil son œil calme et doux ;
Si le voyageur, que la soif terrasse,
Couché pour mourir halète en mourant,
Il entend chanter l’amour et la grâce,
Le petit oiseau dont le cœur est grand.
Biskra, Avril 1887.
PROVERBES ARABES
Vous souhaitez toujours demain ? Vous avez tort :
Demain est proche, et c’est le jour de votre mort.
Veux-tu blesser celui qui blesse avec l’injure ?
Dédaigne avec excès l’insulteur sans mesure.
En avant, un cheveu la mène !
Mais son recul casse une chaîne.
On est illustre et révéré
Avec un burnous déchiré.
Je pense qu’il est insensé
De vouloir présent le passé !
Ta vie est moins qu’un grain de sable dans l’espace !
Tu crois avoir cent ans à vivre… As-tu ce jour ?
Tu n’as vraiment à toi que le moment qui passe,
Et déjà ce moment est passé sans retour.
Songe aux repentirs, songe aux lendemains
Où tes yeux verront ce qu’ont fait tes mains !
Le pauvre ne connaît aucune
Des misères de la fortune.
La bienfaisance, amour du sage,
Est douce avec un beau visage.
Un gredin m’ayant insulté,
Je me suis, moi, félicité.
Je ne l’aimais point tel qu’il est ;
J’en ai vu d’autres : il me plaît,
Tu souffres ? espère en ton cœur :
La peine est la clef du bonheur.
La patience, grande chose !
Il ne pleut pas ? eh bien, arrose.
Salomon n’a plus de femmes ni d’or…
Le soleil se lève et se couche encor.
Les fourmis, quand se perdent-elles ?
Lorsque Dieu leur donne des ailes.
Si ma bonne action m’est imputée à faute,
On me reprochera de marcher tête haute.
Tu peux sans t’absenter me quitter tout à l’heure :
Tu restes dans mes yeux, mon cœur est ta demeure.
Il promet trop : — son langage
Ressemble à du vent… en cage !
Ils sont venus, les temps meilleurs…
J’ai regretté le jour des pleurs.
La pauvreté travaille, elle est féconde ;
L’aiguille est nue : elle habille le monde.
Pauvre mâle ! il cède aux femelles :
Toutes les fois qu’il vole on lui rogne les ailes.
Demain la mort viendra nous prendre ;
On t’a prêté la vie, il faut la rendre.
En toi-même n’as-tu pas foi ?
Prends une corde, étrangle-toi.
Un nom déshonoré, c’est une tache sombre.
Un nom obscur, mais pur, est glorieux dans l’ombre.
Tu ne seras vraiment charitable et pieux
Qu’après avoir donné ce qui te plaît le mieux.
La caravane, au jour, se réjouit
Du chemin fait durant la nuit.
Aux nuages aériens
Qu’importe l’aboîment des chiens ?
Cours, Asmah, car le coureur
Sent courir la joie au cœur !
Mettre l’épée au vent, c’est, fût-on le vainqueur,
Lui donner pour fourreau demain son propre cœur.
Ton cœur te l’a dit quand tu te trompais :
Laisse là le trouble et choisis la paix.
Poète, parle à tous avec force et douceur,
Et, ni juge ni roi, sois un avertisseur.
LE MUEZZIN
Le jour, au bord des cieux indifférents et calmes,
Meurt, baigné dans l’horreur d’un sang mystérieux.
Biskra va s’endormir lourdement sous les palmes,
Au bord du grand désert morne et sous les grands cieux.
Le jour à l’agonie est muet. Rien ne trouble
Le silence infini montant de tous côtés.
Sous le ciel du désert la solitude est double,
Et l’homme est bien perdu dans deux immensités.
La mer, on la commande encore avec des voiles,
Mais le sable infini se refuse aux vivants,
Et le désert du ciel, que sablent les étoiles,
N’est pas mieux défendu par l’espace et les vents !
Oui, l’homme est bien perdu devant ce double espace,
Où le soleil devient le terrible ennemi ;
Où les mille chameaux d’une tribu qui passe
Font songer au néant des pas de la fourmi !
Et là, tout seul, au bord du désert qui commence,
Le village blanc veille et dort sous les palmiers,
Et nuit et jour, sentant la solitude immense,
Jette à Dieu des appels et des cris coutumiers.
Sur la pourpre du ciel, silhouette sublime,
Levant ses bras chargés des longs plis du burnous,
L’Arabe agenouillé, triste, implore l’abîme,
Met le front dans le sable et dit : « Dieu ! pense à nous ! »
On les voit, isolés, — parfois plusieurs ensemble, —
S’affaisser tout à coup, quand le soleil se meurt,
Et c’est alors qu’avec sa longue voix qui tremble
Le Muezzin en prière exhale sa clameur.
Oh ! la plainte infinie ! oh ! la prière lente !
Oh ! supplication des bras, des cœurs, des mains !
Comme il faut que la plaie affreuse soit sanglante
Pour qu’un seul cri rassemble en lui les cris humains !
Du haut du minaret, pareil à la vigie,
Le Muezzin, surveillant l’infini du désert,
Sent mourir dans son cœur la lumière rougie,
Et gémit tous les maux dont son peuple a souffert.
— « Oh ! nous sommes maudits ! pervers et périssables !
Oh ! qui nous soutiendra, si tu ne veilles point !
O toi qui fais chanter la « musique des sables »,
Nos douleurs en chantant t’invoquent pour témoin ! »
Et les plaints du Muezzin courbé vont, d’onde en onde,
Mourir dans le désert morne et silencieux,
Comme un écho de l’âme éternelle du monde
Qui roule aussi, perdu dans le désert des cieux.
LE NOMADE
Loin des hommes, bien loin des hommes et des villes ;
Loin des juifs, des marchands dont les âmes sont viles ;
Loin des chrétiens, qui sont nos maîtres détestés ;
Sous le désert divin des cieux illimités,
Sur les plateaux des monts ou dans la plaine immense,
Dans l’oasis ; dans les déserts où Dieu commence,
Où finit la puissance humaine, — où le soleil
S’assied comme un grand roi sur un trône vermeil,
Dans le sable, qui couvre une mer inconnue,
— Errants comme la vague et les vents et la nue,
Comme le brin de paille au hasard emporté, —
Nous vivons pauvres, seuls, riches de liberté !
Vois-tu luire là-bas, dans la plaine éclatante,
Cette tente rayée, au soleil ? — c’est ma tente,
Le poil de mes chameaux en a fait le tissu
Blanc et noir, — par un fil des mêmes poils cousu.
Là-dessous, mes enfants vivent avec mes femmes ;
Là-dessus le soleil fait ruisseler ses flammes,
Et l’orage ses eaux en vain ; c’est notre abri.
Là, ma chèvre bêlante amène son cabri,
Ma jument son poulain, dès qu’ils sentent l’orage.
Je l’ai plantée hier auprès d’un pâturage :
Dès qu’il sera brouté, j’arracherai les pieux,
Et nous repartirons librement sous les cieux,
Et nous irons, le corps refait, l’âme contente,
A cheval, à chameau, portant piquets et tente,
Par les femmes suivis, précédés du bétail.
Repartir et marcher, c’est là tout mon travail ;
Mon rêve est une source au bord d’une prairie ;
Toute la solitude immense est ma patrie ;
Mes ennemis sont ceux qui voudraient m’empêcher
De faire aujourd’hui halte et demain de marcher…
J’ai coupé ma matraque, — il sied que j’avertisse, —
Aux arbres des forêts plus droits que la justice !
Je n’ai besoin que d’un peu d’eau, de quelques grains,
Et c’est tout. Mes chameaux m’habillent de leurs crins :
Je sais le goût du lait de mes chamelles rousses,
Et du vin des palmiers chargés de dattes douces…
Ah ! que d’autres, assis, couchés dans leur maison,
Esclaves de la pierre, — ignorent l’horizon,
Comme l’arbre dont la racine est prise en terre !
Qu’ils soient dans leur tombeau comme un mort solitaire…
… Moi, j’ai des pieds ! vers l’horizon toujours nouveau
Je vais ! j’irai partout où se pose l’oiseau !
Au nord, l’été ! l’hiver, au sud ! comme la caille.
Pour nous la pluie est bonne et le soleil travaille ;
Personne mieux que nous ne connaît les printemps ;
Pas un beau ciel n’échappe à nos regards contents ;
Nous jouissons de tout ce que Dieu nous envoie…
Chez vous, que de beaux jours sont beaux sans qu’on les voie !
Pour vous, sur les sommets d’un feu rouge inondés,
Que de couchants sont beaux sans être regardés !
Vos yeux ne savent pas où luit la Belle Étoile !
Les merveilles de Dieu, votre mur vous les voile ;
La rue est un fossé de tombe, un caveau noir…
Nous, nous ne laissons point passer Dieu — sans le voir !
LA DIFFA
Le kaïd Ben-Ghana donne un festin ce soir.
Deux cents hôtes viendront à sa table s’asseoir,
Des députés français, des ministres, des femmes…
Douze moutons entiers cuisent, dorés des flammes,
Empalés à des pieux, de trois mètres de long,
Dont chaque énorme bout porte sur un moellon,
Et que tournent sans fin, graves, d’une main lente,
Vingt-quatre hommes, devant la clarté rutilante,
Assis sur leurs talons, accroupis, à genoux,
Drapés dans les grands plis ondoyants des burnous ;
Et les douze brasiers, flambant dans les airs calmes,
Éclairent, par-dessous, le vert des hautes palmes.
La nuit vient. — Sous la tente immense, le banquet
S’illumine, — un festin auquel rien ne manquait.
Car l’Arabe, voulant que nous fussions à l’aise,
Ajoutant à sa grâce une grâce française,
Offrit les mets d’Europe et les mets du désert,
Tandis qu’autour de nous, monotone concert,
Que couvraient par instants les fanfares de France,
Tobols et derboukas, avec indifférence,
Parmi les pas, les voix des serviteurs nombreux,
Sonnaient, vibraient, grondaient, se répondaient entre eux
Sans répit, sans repos, sans relâche, sans trêve,
Mêlant aux bruits d’un soir l’éternité du rêve !
Tout à coup, nous tournons tous ensemble les yeux,
Car notre hôte ; — où trouver hôte plus gracieux ? —
Pour nous mieux honorer, — d’un hommage qui plaise
A nos cœurs, — a permis qu’auprès d’une Française,
Sa fille, déjà belle aux regards de l’amour,
Parût à notre table, et qu’elle en fît le tour…
Elle entre, ses grands cils abaissés vers la terre,
Surprise de sortir de l’ombre d’un mystère,
Et tous sentent, longtemps après qu’elle a passé,
Les charmes de sa grâce et de son œil baissé.
Et les chants du désert ont chanté dans mon âme :
Belle petite enfant, promesse d’une femme,
Ta taille est un palmier naissant, dans l’oasis ;
Tes yeux de rossignol, aux cils noirs, et noircis
Par le koheul, sont doux comme la nuit obscure ;
Ta lèvre, humide et fraîche, a l’attrait de l’eau pure
Après trois jours de marche au fond du Sahara.
Ta voix est bonne autant que le chant du bohrah,
Le seul oiseau qu’au fond du désert on entende !…
Dans ce monde, — ô Deïah, — la solitude est grande
Toujours ; mais la beauté, c’est l’éclat rassurant
De l’étoile première au fond du ciel trop grand.
Ton frère, ô noble enfant d’une noble famille,
Est heureux de sa sœur ; ton père, de sa fille ;
Et bienheureux sera le guerrier triomphant
Qui, sous sa tente, doit t’emmener, chère enfant !
— Sois bénie à jamais, beauté jeune et parfaite,
Par ton Dieu, belle enfant agréable au Prophète !
Béni soit le kaïd, ton père respecté,
Deïah, rêve de grâce et d’hospitalité.
AU BORD DU PUITS
Puisque pour être heureux il faut que je te voie,
O Kheïra, je suis un malheureux sans joie
Car je te vois une heure à peine, quand, le soir,
Sur le bord de ce puits, calme, tu viens t’asseoir
Un moment, et causer avant d’emplir ta cruche.
Les femmes font, autour des puits, un bruit de ruche,
Et je peux, dans ce bruit, te parler un moment
En secret, mais, après, je reprends mon tourment
Plus lourd, — comme un chameau plus las après la halte.
Quand je t’ai vue ainsi ma fièvre en moi s’exalte,
Et l’éclat de tes yeux, un instant admiré,
Me rend plus sombre après que tu m’as éclairé.
L’eau du mirage ainsi rend plus sèche la bouche.
Tu m’aimes cependant, et ma peine te touche,
Mais, pareille à de l’eau qui jaillit et se perd
Bien vite dans le sable altéré du désert,
Tu me fuis au moment que, dans ma soif de fièvre,
Je tourne vers tes yeux mes désirs et ma lèvre !
Oh ! pour voir, Kheïra, ton beau corps inconnu,
Comme hors d’un nuage une étoile, tout nu
M’apparaître, et briller sans ornements ni voile,
Je donnerais ma vie, ô ma lointaine étoile !
O chère Kheïra, l’Étoile du matin
Est moins belle que toi dans le ciel incertain,
A l’heure de délice où la nuit qui commence
Jette un regard de paix sur le désert immense.
O Kheïra ! tes yeux de rossignol chanteur
Sont comme une nuit douce et font chanter mon cœur ;
Mais mon chant est pareil à la plainte du sable
Sous les coups du simoun, — ô chère insaisissable !
Épouse de mon âme, autre âme de ma chair,
Paradis de désir, espoir de mon enfer,
Tu brûles de tes feux mon âme consumée.
Onde et flamme à la fois, terrible bien-aimée,
Tu m’altères ; je vais le front bas et tendu
Vers toi, comme un chameau dans les dunes perdu
Qui tend sa lèvre torse et l’enroule à la touffe
Du diss, en espérant, sous le feu qui l’étouffe,
Tirer une saveur de la plante sans suc !
Et, jeune, me voici comme un vieillard caduc,
Car je porte un fardeau, car j’aspire à la tombe
O Kheïra, ma faim, ma soif ; car je succombe
D’être chargé de ton souvenir sans repos !
Car ton nom est un philtre : il a brûlé mes os !
Si j’étais riche, enfant qui me trompes peut-être,
Je voudrais être seul ton amant, ton seul maître,
Et moi, ton fier vaincu, moi, ton humble vainqueur,
Te prendre à tes parents qui gouvernent ton cœur.
Dusses-tu me trahir qu’importerait encore ?
Je t’aurais, source en feu dont l’attrait me dévore,
Je t’aurais, eau divine impossible à saisir,
Et j’emplirais de toi l’urne de mon désir !
LE MARCHEUR DU DÉSERT
Je suis, — ô Mohamed, — le marcheur du désert.
Toi, ta maison est fraîche au fond d’un jardin vert,
Et des fleurs, ô mon hôte, encadrent ta fenêtre.
Tu m’as gardé trois jours : c’est beaucoup… trop peut-être,
Mohamed ! — Laisse-moi repartir ; mon chameau
Rêve du sable ardent sans verdure et sans eau,
Du pays de la soif et de la solitude,
Où l’on souffre toujours, mais dont j’ai l’habitude.
Là, sur le sable en feu, terrible, au ciel pareil,
Je vais ; — lorsque mes yeux souffrent trop du soleil,
Je regarde mon ombre, et ma vue est guérie…
Mon exil loin de tout me semble une patrie ;
Le soleil fauve a fait du désert son miroir ;
Le désert, c’est pour moi le chemin sans espoir,
Sans bout ! c’est, Mohamed, comme une mer sans grève
Où je tourne, n’ayant de bonheur que mon rêve ;
Mais tel est mon destin… Adieu donc ! reste assis ;
Le marcheur du désert n’aime pas l’oasis.
Quand je retire un pied du sable, l’autre y rentre.
Le désert est un rond : je suis toujours au centre.
Je ne veux des dattiers que la datte ; et des puits
Qu’une outre d’eau ; du ciel, que le retour des nuits !
Quant à l’ombre de l’arbre, au charme des fontaines,
Aux chansons des oiseaux réunis par centaines,
J’en ai peur, car je dois, toujours, chaque matin,
Éternel voyageur reprendre mon destin.
Adieu donc, Mohamed ! Laisse-moi le courage…
Ma consolation unique est le mirage
Qui m’apparaît parfois, sublime et décevant,
Lorsque enfiévré par la marche, je vais rêvant.
Je vois alors des bois de cèdres et de roses,
Des palais d’or, ornés d’étincelantes choses,
Pleins de jets d’eau !… Mon cœur alors chante, ravi.
Mon rêve va devant, par le rêveur suivi…
Je sais que c’est un rêve et j’aime à le poursuivre,
Et, vois-tu, je n’ai pas d’autre bonheur à vivre !
O Mohamed ! mon cœur est de sang et de chair…
Allah, pour mieux punir les damnés de l’enfer,
Leur a fait entrevoir son paradis une heure…
Ah ! qu’un autre s’arrête au seuil de ta demeure !
Ne te dérange pas, Mohamed !… reste assis.
Le marcheur du désert n’aime pas l’oasis.
Un soir, auprès d’un puits, en écartant ses voiles,
Une fille de cheik, sœur des douces étoiles,
M’a laissé voir l’heureuse étoile de ses yeux.
Ah ! maudit à jamais ce soir délicieux !
Maudite l’oasis où je l’ai rencontrée !
Maudite la citerne où ma lèvre altérée,
Ayant soif d’eau, prit soif de baisers et d’amour !
Souvenir dévorant comme l’éclat du jour
A midi ! souvenir torride d’un soir calme !…
O Mohamed, j’ai pris son éventail de palme
A sa négresse, — et j’ai couru comme un voleur !
Et je hais la fontaine, et l’oasis en fleur !…
Ne m’accompagne pas, Mohamed, je te laisse,
Adieu. Je dois partir sans retard ni faiblesse ;
Ne te dérange pas, Mohamed… reste assis !
Le marcheur du désert n’aime pas l’oasis.
Un jour, ô Mohamed ! un jour d’été terrible,
Quand pleuvent les rayons comme les grains d’un crible,
Le soleil frappera mes regards et mon front
D’un trait, d’un coup mortels, dont mes yeux brûleront.
Mohamed ! — Il boira ma sueur, puis ma sève,
Mes pleurs ! — Et mon esprit fera son dernier rêve ! —
Je sentirai ma moelle en mes os se sécher ;
Et, dans le sable en feu, ne pouvant plus marcher,
Il faudra bien m’asseoir au penchant de la dune !
Alors, fraîche, et pareille au croissant de la lune,
Je reverrai l’enfant de l’inutile amour,
Tandis que, calciné comme un pain dans un four,
J’essaîrai d’agiter un peu, sur mon visage,
L’éventail dont le souffle est un souffle d’orage !
O Mohamed ! je veux, je dois mourir ainsi,
Sous le grand ciel doré, sur le sable roussi,
Au plein soleil ! je veux être bu par la flamme
Du ciel, puisque l’amour a déjà bu mon âme !
Mon corps en deviendra léger comme le corps
D’une cigale, sec comme les dattiers morts,
Comme l’alfa tressé, comme la paille d’orge.
Mon cadavre sera de la cendre de forge,
Qui, — par le vent mêlée aux dunes des déserts
Dont les écroulements forment de longs concerts, —
Chantera Dieu, qui fit les étoiles pour l’ombre,
Grains de sable du ciel, scintillants et sans nombre…
Ne te dérange pas, Mohamed ! reste assis.
Le marcheur du désert n’aime pas l’oasis.
ZINAH
Au moment où Zinah posait sa cruche pleine
Au bord du puits, — d’un grand lentisque de la plaine,
Le Lion roux sortit, calme, et d’un pas si lent
Que Zinah, dont le cœur était un peu tremblant,
N’eut pourtant pas très peur et dit : « Que veux-tu, maître ? »
— « Vous voir, dit le Lion,… et vous plaire peut-être. »
Il s’assit, regardant la fille avec douceur.
— « N’est-ce pas, que la Belle Étoile est votre sœur ? »
Dit-il. Zinah n’était qu’une enfant : donc, sans voile,
Et le Lion connaît très bien la Belle Étoile,
La dernière au matin, la première le soir.
— « Reviens au puits demain : je reviendrai t’y voir,
Je t’aime ! » — Et la voyant partir : — « Je t’accompagne,
Car des bandits pillards campent dans ma montagne. »
Il la suivit jusqu’à sa tente, et s’en alla.
Tout le monde ignorait qu’un lion fût par là.
Il avait par trois fois dit à la jeune fille :
« De grâce, ne dis rien à ceux de ta famille ! »
Elle parla. L’amour du Lion fut trahi.
Il devint triste, triste :… il se croyait haï !
On l’épiait sans cesse… On l’empêchait de boire.
Des coups de feu partaient souvent dans la nuit noire,
Et, plusieurs fois blessé, le Lion tristement
Léchait son mal, avec un sourd rugissement,
Au fond de sa caverne et de la solitude.
Zinah n’y songeait plus, et reprit l’habitude
D’aller au puits, d’aller au bois couper du bois…
Elle vit le Lion pour la seconde fois.
Elle eut peur et trembla… « C’est encor toi ! » dit-elle,
— « Tu m’as fait bien du mal, jeune fille trop belle,
Dit-il,… et j’aurais pu, je pourrais me venger ;
Non ! — ni toi ni les tiens vous n’êtes en danger…
Mais je ne peux subir la honte qui m’est faite :
Prends ta hache à couper du bois ; et fends ma tête ! »
Zinah prit donc la hache, et leva ses deux bras…
— « Enfin ! je vais mourir de ta main ! »
— « Tu mourras »,
Dit-elle.
Il répondit : « Fais vite… tu me charmes ! »
Et dans ses grands yeux bons roulaient de grosses larmes.
La hache retomba sur le front qui s’ouvrit :
Le grand Lion roula, mort… et Zinah sourit.
LES BOURRICOTS D’ALGER
Trottin, trottinant, sur son petit âne,
Le bourricotier, comme en badinant,
Ioup ! à coups de canne,
Comme en badinant,
Ioup ! frappe chaque âne
Du troupeau d’ânons qui va trottinant.
Ils trottent menu, très menu, très vite,
Font peu de chemin en trottant beaucoup…
Ioup ! pas un n’évite,
En trottant beaucoup,
Très bien et très vite,
Sur sa croupe en sang d’attraper un coup !
Pauvre plaie en sang, saigne sur la croupe !
Ils sont mal payés, les bons travailleurs !
Et toute la troupe
Des bons travailleurs,
Du sang sur la croupe,
Va trottant toujours sans haine ni pleurs !
Les maçons moins qu’eux ont bâti la ville ;
Oui, les bourricots, qu’il faut protéger,
Ont bâti la ville !…
Il faut protéger
La race docile
Des petits ânons, manœuvres d’Alger.
SIDI LE JUGE
(ALGER)
La cour joyeuse est blanche, blanche ;
Un figuier vert est au milieu,
Dont la tête ronde se penche…
L’ombre est le plus beau don de Dieu.
Au fond, est ouvert le prétoire
Où siège seigneur le Cadi ;
La salle non plus n’est pas noire,
Surtout vers l’heure de midi.
Les plaideurs, leurs jambes croisées,
Attendent sous le figuier vert…
De fines ombres irisées
Consolent d’un procès qu’on perd.
Dans la salle, sous un grillage,
Les femmes, oiseaux criailleurs,
Montrent un coin de leur visage…
L’une sourit ; l’autre est en pleurs.
L’une réclame le divorce ;
L’autre dit qu’on la bat trop fort ;
Toutes se plaindront avec force…
Le Cadi sera le plus fort ;
Car la puissance du silence
A raison d’un bavard puissant ;
C’est la force par excellence :
On se repose en l’exerçant…
Et Sidi le juge s’apprête,
L’œil sur l’ombrage du figuier,
A humer une cigarette
Que lui tend Sidi le greffier.
DANS LA MOSQUÉE
(ALGER)
Je laissai sur le seuil ma poudreuse chaussure,
Et j’entrai. — La mosquée heureuse, claire-obscure,
Était comme un de ces jardins délicieux,
Où les arbres, tout en gazant l’éclat des cieux,
Nous gardent la gaîté du jour dans l’ombre même.
La mosquée en effet est le jardin suprême
Où l’ombre et la fraîcheur embellissent le jour.
— Quand l’air semble, au dehors, le souffle ardent d’un four,
Quand, le long des murs blancs, ruisselle de la flamme,
La suave mosquée est, aux yeux comme à l’âme,
Une fraîche oasis où Dieu donne au passant
L’ombre et l’eau. (Béni soit le nom du Tout-Puissant !)
… L’eau coule à petit bruit dans la vasque profonde ;
Et tous viennent mouiller leurs bras, leurs pieds, à l’onde
Symbolique, et, lavés dans leur cœur et leur corps,
Retournent plus heureux aux choses du dehors.
Les colonnes sont là telles que des troncs d’arbre,
Et les nattes sans fin, qui recouvrent le marbre,
Sont comme un doux tapis de fleurs et de gazon…
Bénis soient à jamais ton nom et ta maison,
Dieu puissant ! ta mosquée en aucun temps déserte,
Qui pour les vrais croyants seuls devrait être ouverte !…
— L’un y reste à genoux longtemps, le front courbé ;
L’autre, tout de son long, semble un guerrier tombé ;
L’autre y berce, en dormant, sa sainte rêverie ;
L’autre y baise cent fois le sol ; chacun y prie…
C’est la maison de tous les serviteurs d’Allah !…
De quel droit les roumis peuvent-ils entrer là ?
Me voyant circuler, curieux, dans l’asile
Des croyants, — un vieux pauvre, un nègre, qui, tranquille,
Dans ce lieu de douceur, loin des âpres rayons,
Sale et nu comme Job, recousait des haillons,
Redressant tout à coup son torse de squelette,
Se prit à me crier : « Vainqueur maudit, arrête !
De quel droit souilles-tu, chien, l’asile de Dieu ?
De quel droit les roumis entrent-ils dans ce lieu ?
Il est volé, ce droit !… Allah le leur refuse !
O malédiction ! le juif lui-même en use !
Respecte cette natte ! et respecte ma foi !
Hors d’ici, chien ! Ton âme est plus noire que moi ! »
Ce nègre, affreux vieillard, chargé de sa misère,
Maigre, effrayant, sordide, était beau de colère,
Et je sortis, vaincu, sous le geste irrité
Du mendiant tout plein de sa divinité.
A L’ÉCOLE
(TUNIS)
Dans la salle de l’école.
(Sauf le maître toutefois)
Tout le monde a la parole,
Comme les oiseaux aux bois.
Au milieu, — dans la lumière
Diffuse, égale partout, —
Ceint d’un cadre de barrière,
Un tombeau de marabout.
Le bonhomme en paix repose…
Que Dieu bénisse ses os !…
L’enfance bruyante et rose
Lui donne un concert d’oiseaux.
Assis sur les fraîches nattes,
Tous les petits écoliers
Ont plié sous eux leurs pattes…
— On voit, au seuil, leurs souliers.
Chacun d’eux, sur sa tablette,
Lit un verset du Koran,
Mais ils lisent, à tû-tête,
Tous un verset différent !
Le maître, baguette haute,
Au milieu du brouhaha
Reconnaît la moindre faute,
Et fait signe : Halte là !…
Mais l’adorable merveille
C’est un enfant de cinq ans
Qui ne prête pas l’oreille
Aux clameurs des concertants.
Il a l’œil d’une colombe
Ou d’un rossignol au nid ;
Seul, il s’adosse à la tombe,
Et la tombe le bénit.
Il suit, par la porte ouverte,
Un nuage, au ciel tout bleu ;
L’école chante ou disserte :
Lui, se tait, chéri de Dieu.
D’autres savent : il ignore ;
Il rêve… quoi ? Rien du tout ;
Il s’étonne de l’aurore,
Sans songer au marabout.
Il est doré comme l’ambre,
Comme la datte et le miel…
Il ne voit de cette chambre
Que la porte — où luit le ciel !
Quel beau pli, sur sa poitrine,
Fait son burnous enfantin !
L’enfance est vraiment divine :
Elle porte le destin.
C’est l’innocence éternelle,
La gloire du genre humain :
Elle nous cache son aile,
Mais l’espoir est dans sa main.
L’ANAYA KABYLE
Le plus beau de mes droits d’homme libre, ô roumi,
C’est celui de pouvoir sauver mon ennemi…
D’assurer, chez mon peuple, à qui m’en paraît digne,
L’asile et les secours, — en le marquant d’un signe.
Si je jette sur toi mon manteau, ce manteau
Est plus sûr que du fer contre un coup de couteau ;
Et, quel que soit l’objet que te donne un Kabyle,
En disant : Anaya, — tu peux marcher tranquille,
Tête haute, dans mon pays, du Sud au Nord :
L’anaya t’accompagne, et rien n’est aussi fort !
C’est un beau droit, dans un pays toujours en guerre !
Et la sécurité ne s’y connaîtrait guère
Sans l’anaya ; — mais Dieu veut le bien près du mal.
Un Kabyle perdrait sa femme ou son cheval
Plus volontiers que son beau droit de faire grâce !
L’anaya, c’est, roumi, le sultan de ma race :
Sans exiger d’impôts il ne fait que du bien…
Dis, quel autre sultan peut égaler le mien ?
LE GÉNÉRAL MARGUERITTE[1]
En face, — par delà cette mer aux eaux bleues,
Chemin universel, large de deux cents lieues, —
C’est la France… Et le sol fleuri, tout sablé d’or,
Que nous foulons ici, qu’est-ce ? — La France encor.
Deux Frances ; un seul cœur pour la joie ou l’épreuve :
On dirait simplement les deux rives d’un fleuve !
Et Margueritte, né de Lorrains paysans,
Fils d’un soldat, chasseur de fauves à quinze ans,
Cavalier du désert, visage allégorique,
Tomba devant Sedan. — C’est le Français d’Afrique.
C’est un soldat de paix, ce guerrier sans repos.
Conquérant, protecteur d’hommes et de troupeaux,
Créateur de chemins, bienfaiteur militaire,
Il bâtissait la ville, il fécondait la terre ;
Il forçait le désert à créer l’oasis.
Tel, esprit, cœur d’élite entre les mieux choisis
Il se fit respecter par l’Arabe nomade,
Comme un grand chef et comme un noble camarade
Jusqu’au fond du M’Zab, au Sud, il a porté
La France et sa grandeur : la Générosité.
Pour devise, il prit : Duc in altum ! « Monte au large ! »
Et loin, toujours plus loin, il commanda la charge
Sublime, l’En-avant du civilisateur !
Que sa statue, un soir, debout sur la hauteur,
Vienne à crier : « Qui vive ! » au désert sans limite,
— En retrouvant la voix de son chef Margueritte,
Le haut désert, sans fin comme le firmament,
Les douars, dans la nuit, réveillés brusquement,
L’Arabe, secoué dans son indifférence,
Répondront à ce cri, par cet autre cri : « France ! »
… La mère France, un jour l’appelle. — Il part. — Sedan.
Ses cavaliers, debout sous le canon grondant,
Calmes, sentent déjà l’héroïsme inutile !
L’ennemi, sans répit, les frappe, les mutile,
Les hache ! — Ils sont toujours debout, vaincus déjà.
Lui, presque seul, — jamais il ne se ménagea, —
Sans escorte, du sang des autres économe,
Suivi d’un officier, tendre et vaillant cœur d’homme,
Il s’avance… Une balle. Il tombe de cheval.
— « Pouvez-vous remonter à cheval, général ? »
Et, sanglant, une balle affreuse en plein visage,
Il tient en selle, mort ! mais vivant par courage !
Et, beau, devant le sabre incliné des soldats,
Il leur montre l’espoir, en étendant son bras !
C’est alors qu’entraînés par le geste stoïque,
Les deuxième et premier de ses chasseurs d’Afrique,
Chargèrent à ce cri : « Vive le général ! »
Couvrant d’honneur l’éclat du désastre final.
— Adieu, mon général. L’aventure est finie.
Il faut vous préparer à l’horrible agonie.
Réverony, pour mieux vous assister, hélas !
S’étend comme un blessé sur votre matelas,
Pour que vous sentiez mieux votre main dans la sienne,
Et pour que votre front sur un cœur se soutienne…
Il faut mourir !… Alors, sans doute, dans ses yeux,
Comme un songe ont passé la mer et les grands cieux,
Et les déserts conquis ! Et ses fils ! Et sa femme !
Adieu la vie ! adieu les chevaux pleins de flamme,
Dont le pied fin paraît ne pas toucher le sol !
L’autruche qu’on poursuit, dont la course est un vol,
Et qu’on lasse à travers la lande infranchissable !
Le lion roux des monts ! la gazelle du sable !
Les bleus chasseurs d’Afrique et les rouges spahis !…
Adieu la France ! adieu l’Afrique ! le pays
Au double nom…! — On est vaincu sans espérance.
— « Moi, ce n’est rien, dit-il, mais l’armée et la France ! »
C’est ainsi qu’il mourut. — Et la France aujourd’hui
Accomplit son devoir de mère, — et pense à lui.
CHANT DES TOUAREGS
Au désert, grand comme la mer,
Nous vivons libres sous l’espace,
Libres comme l’oiseau qui passe,
Et comme l’air !
Que viennent-ils chercher ici, les chiens d’Europe ?
Leurs promesses sont d’or, leurs actes de plomb vil.
Qu’un nuage de traits siffle et les enveloppe !
Le carquois nargue le fusil !
Ils ne l’atteindront pas, le chameau qui galope !
Où rugit le lion, le chien jappera-t-il ?
Les lions du désert ont flairé son approche ;
Ils n’aiment pas l’odeur de l’esclave et du chien !
Elle a des dents de fer, la flèche que décoche
Le Targui, qui n’a peur de rien !
Le renard, chien des monts, disparaît sous la roche,
Lorsque le grand lion des sables — le veut bien !
Nous sommes grands et fiers, le bras fort, la main fine,
Portant sur nos chameaux, aussi prompts que l’éclair,
Un sabre, un croc, la lance avec la javeline,
La massue à broyer la chair…
Notre poignard touareg, à lame serpentine,
Tient par un bracelet à nos poignets de fer.
Regardez le Targui voyager dans le sable !
Lui seul, dix jours durant, vit de dattes et d’eau ;
N’en a-t-il plus ? Alors, si la marche l’accable,
Il boit du sang de son chameau !
La poix ferme la plaie ; et l’homme infatigable
Bénit Allah l’unique, et marche de nouveau !
Y vivrez-vous deux jours, dans le désert terrible ?
Votre bras s’est armé, mais les cœurs et le front ?
Lorsque le feu pleuvra comme le grain d’un crible,
Les hardis se repentiront !
Et nous, quand l’étranger crîra la soif horrible,
Nous le regarderons mourir, — groupés en rond !
Qu’ils restent dans leur ville où s’abaissent les âmes !
Ils voudraient apporter ici — ce qui les perd !…
Sur notre mer de sable où tremble l’air en flammes,
L’oasis n’est qu’un îlot vert…
Vous aimez trop le vin, l’argent, l’or et les femmes :
Allez-vous-en d’ici ! Dieu garde son désert !
Nous avons fait un pacte avec la lande immense ;
Le roi notre allié s’appelle le soleil !
Il est juste et sévère, il est plein de clémence :
C’est un Salomon sans pareil !
Par delà l’Océan sa puissance commence ;
Il prête au mont Atlas un bandeau d’or vermeil,
Nous ne convoitons pas vos immondes fortunes ;
Nous gardons contre vous, passants de Dieu maudits,
La liberté farouche et le désert des dunes :
Deux biens qui vous sont interdits !…
Allez porter ailleurs vos faces importunes !…
Ici, c’est votre enfer ! c’est notre paradis !
Au désert, plus grand que la mer,
Nous vivons libres sous l’espace,
Libres comme l’oiseau qui passe,
Et comme l’air !
CHANT DES EXPLORATEURS
Nous le traverserons un jour, le désert fauve,
Brûlant comme la flamme et plus grand que la mer !
Par là, nous irons boire aux sources du Niger,
Et l’on verra comment la chamelle se sauve
Devant nos Béhémoths de fumée et de fer !
Les races de chacals qui se mangent entre elles,
Les pillards, les bandits, écume d’écumeurs,
Ballottés sur le dos de leurs maigres chamelles,
S’enfuiront devant nous comme des sauterelles
Qu’on détourne avec des tambours et des clameurs !
Les a-t-on vus jamais nous combattre de proche ?
Ils regardent de loin, comme un vol de corbeaux,
Et, — superbes à voir, si des pillards sont beaux, —
Quand le moribond râle, ils lui vident la poche,
Pires que les chacals qui fouillent les tombeaux !
Ils peuvent, ces Touaregs à faces renégates,
Tatoués d’une croix au front, crier : « Allah ! »
Et se nourrir de sang lorsqu’ils n’ont plus de dattes,
Nous nettoîrons le haut désert de ces pirates !…
Oui ! les chacals fuiront, quand les chiens seront là !
Car nous sommes les fils de Rome et de la Gaule,
Les fils des conquérants qui veulent l’Univers !
L’ombre de nos drapeaux baigne à toutes les mers :
Nous voulons les planter dans les glaces du pôle,
Les fixer dans le sable au centre des déserts !
Nous, nous portons la paix future, avec nos armes !
Tant qu’il reste à marcher, conquérants malgré nous,
Nous ferons ruisseler du sang avec des larmes…
Nous sommes les martyrs violents, au cœur doux,
Qui, tuant et mourant, rêvent la paix pour tous.
Nous portons le progrès des esprits, — un mystère, —
Ayant, avec du fer, le pardon dans la main,
Écoutant le devoir nous parler en chemin…
Nous voulons imposer notre rêve à la terre !
… Qui doute, dans la nuit, des soleils de demain ?
Un jour, nous lâcherons de nouvelles armées
Qui n’auront plus de fer que la pioche et le soc !
Les monts du globe entier connaîtront notre choc !
Les dunes des déserts mêmes seront semées ;
Le grain de notre amour lèvera sur le roc !
Nous sommes les faiseurs de vie et d’espérance !
Nous n’avons d’ennemis que la mort et la faim !
Et, soldats bienfaisants malgré toute apparence,
Nous apportons d’Europe, où nous sommes la France,
La justice, — qui veut régner seule à la fin !
A CHARLES JOURDAN
EN QUITTANT ALGER
Pourquoi je pars si tôt, ou peut-être trop tard,
Qui le sait ? Le grand ciel est pur, la mer est belle…
Adieu ! Quand son instinct commande l’hirondelle,
Rien ne peut l’arrêter. C’est son heure. Elle part !
Adieu, terre d’Afrique, où la France nouvelle
Avec les jeunes ceps verdit de toute part !
C’est au dernier moment, sous le dernier regard,
Que ta beauté rayonne entière — et se révèle !
Adieu, la Casbah, blanche et bleue, au front d’Alger !
Adieu, sous les palmiers en fleurs et l’oranger,
Deux larges mois de vie heureuse comme un rêve !
Quoique attendu là-bas, je pars avec langueur.
Un infini regret m’attache à cette grève,
Mon frère… Et tu retiens la moitié de mon cœur.
SUR UNE
COLOMBE RENCONTRÉE EN MER
A BORD DE LA « VILLE DE NAPLES »
Elle était lasse, la colombe !
Elle nous suivait d’un long vol,
Rêvant d’un grand arbre en plein sol.
La mer ! la mer n’est qu’une tombe.
Pourquoi l’avait-elle quitté,
Le sol d’Afrique, le rivage ?
O douce colombe sauvage,
Où donc ton nid est-il resté ?
S’il est sur la terre africaine,
Pourquoi suis-tu notre bateau ?
Tu le sais bien, que la grande eau
N’est pas une route certaine !
S’il est en France, ton doux nid,
Qui donc ici t’avait menée,
Pauvre colombe abandonnée,
Que mon cœur douloureux bénit ?
Viens ! pose-toi sur le navire :
Mon cœur parle : connais ma voix…
Ce mât fut chêne dans les bois !
Il a chanté, comme la lyre !
Pose-toi sur l’îlot flottant
Qui s’en va vers la douce France…
Viens, colombe de l’espérance
Qu’on croit toujours voir en partant !
La mer ! la mer est une tombe !
Ton vol faiblit… tu rases l’eau…
Repose-toi sur le vaisseau,
Oiseau d’espérance, ô colombe !
Mais tout à coup, volant plus bas,
L’oiseau d’espoir, la tourterelle,
Retourne, brusque, à tire d’aile,
Au pays d’où je viens, là-bas !…
Pauvre colombe effarouchée !
Elle a fui le bateau fuyant,
Plein de passagers et bruyant,
Dans la terreur d’être touchée !
Et peut-être que, sous le noir
Du ciel vide et des eaux désertes,
Elle meurt, les ailes ouvertes,
Dans un dernier élan d’espoir !
29 mai 1887.
AU FEU DE MINORQUE
En pleine mer, — au beau milieu
Des eaux profondes, des eaux mornes, —
Au milieu de l’ombre sans bornes,
Il brille sur l’île, ce feu.
Dans la nuit formidable, immense,
Guide sûr, fidèle témoin,
Il dit à mon bateau de loin :
« Va !… La mer française commence. »
Tandis que le sombre sommeil
Pèse sur les yeux et sur l’âme,
Il dit : « Je veille, » avec sa flamme ;
Il dit : « Crois toujours au soleil. »
Il s’éteint, se rallume encore.
Sur les flots mauvais ou sereins,
Il dit : « L’Ile pense aux marins ; »
Il dit : « Marin, songe à l’aurore !
« Je marque presque la moitié
« Du chemin de France en Afrique,
« Et demain, beau transatlantique,
« Tu verras le cap Sicié. »
Ainsi Minorque, belle fille
Qui dort sous les verts orangers,
Bons marins, pense à vos dangers,
Et vous salue, — et son feu brille.
Et rien n’est beau, parmi les fleurs,
Comme ce phare, humaine étoile,
Qui dit : « Espère » à chaque voile,
Et : « Je veille » à tous les veilleurs.
A bord de la Ville de Naples, 29 mai 1887.
SUR LA MORT D’UN POÈTE
D’APRÈS ABDAH, FILS D’EL THEBIR
Raïs, poète, vient d’être mis au linceul ;
Mais la mort de Raïs n’est pas la mort d’un seul :
Tout un peuple est frappé ! Pleurez, hommes et femmes !
L’âme de celui-ci faisait vivre des âmes.
ART POÉTIQUE
D’APRÈS ABDAH
Quand un poète prend à l’autre une pensée
Et l’orne, dans ses vers, d’un plus beau vêtement,
La justice n’est point par ce vol offensée
Celui-là vole justement.
EN-NABIGHA
D’APRÈS ABDAH
En-Nabigha, poète, hélas ! ne chantait plus.
Or, les siens s’étant résolus
A marcher contre ceux d’une tribu voisine,
Les ennemis furent vaincus,
Et le poète heureux retrouva son génie !
Et sa tribu lui dit : « Nous sommes plus heureux
D’entendre encor tes vers mélodieux,
Poète, — que d’avoir été victorieux ! »
A. ED. H.
SOLDAT-POÈTE
Tu pars, soldat, pour l’Algérie ;
Pars, c’est encore la patrie.
Suivi des cœurs, suivi des yeux,
Pars joyeux.
Quitte la France pour la France ;
Pars, joyeux comme l’espérance ;
Pars ; c’est peut-être un beau péril :
Non l’exil.
Tu vas retrouver, camarade,
Les souvenirs de la croisade ;
Des temps où l’on baisait le bois
De la Croix.
En Afrique, on boit dans des coupes ;
Là, les chevaux ont sur leurs croupes
Des tapis de soie éclatants
Et flottants.
L’âme des preux y vibre encore,
Dans l’air bleu, dans le flot sonore ;
Tes yeux reverront, éblouis,
Saint Louis.
Tu vas admirer la prière
De l’Arabe, dans la poussière,
Sous les nobles plis des burnous,
A genoux.
Tu vas voir une foi vivante,
Malgré ce que le siècle invente
De doute et de raisonnements
Assommants.
Tu vas voir, le turban en tête,
Les bédouins qui croient au Prophète,
Et, — mon colonel, tu souris ! —
Aux houris.
Tu vas entendre, en criant grâce,
Des noirs, — musiciens de race ;
Et le tobol, la derbouka
De Barka.
Tu vas voir les conteurs arabes
Égrener les lentes syllabes
Comme les grains des chapelets :
Entend-les.
Tu vas voir, transpercés d’un glaive,
Les Aïssaouas, qu’on élève
A mâcher du verre et du feu…
Oh ! mon Dieu !
Sur les ruines de Carthage,
Comme un ancien grand personnage,
Tu vas pleurer, — sois-en certain, —
En latin !…
Tu vas fouler des mosaïques ;
Acheter des bijoux antiques,
Ouvrages de quelques hardis
Érudits.
Ne vois pas la danse du ventre !
— Plus de lion !… Va voir un antre.
Songe à Cervantès, à Pança…
Pense à ça !
Songe aussi que l’humeur badine
A l’humeur noire pour cousine,
Et vois que je suis sérieux,
A mes yeux.
Assure Mirah, la négresse
Au rire blanc, — de ma tendresse,
Et dis tout ce qui te plaira
A Zorah.
A Fatma, qu’elle est sans pareille,
Avec ses jasmins sur l’oreille,
Et son grand pantalon bouffant,
Chère enfant !
A… Aïcha, qu’on se rappelle
Qu’elle est aussi bête que belle,
De fuir le pays du lion,
Pour Lyon !
A Bab’Azoun, mon noir confrère,
Si tu veux vous entre-distraire,
Conseille de faire semblant
D’être blanc !
Dis au diable, — puisqu’il est nègre, —
Que l’esprit français tourne à l’aigre,
Et de nous emporter un peu
Jusqu’à Dieu !
A CHARLES DE P.
Pourquoi l’as-tu quittée, ô mon cher capitaine,
L’Afrique où le désert te rapprochait de Dieu ?
Où, chaque soir, fidèle à ta marche certaine,
L’Étoile du Berger te guidait de son feu ?
Tu voyais un pays à simple grande ligne
Comme en virent chez eux Moïse et Jésus-Christ ;
Tu voyais refleurir, sur les coteaux, la vigne
Morte chez nous d’un mal qui ronge aussi l’esprit.
Tiens, nous sommes en mai : c’est la fête des roses !
Mais il n’en fleurit point dans les cours des maisons !
Ici, tu ne verras que de petites choses,
D’ignobles appétits, — et jamais d’horizons.
Pourquoi reviens-tu ? — L’heure est assez mal choisie,
Car l’action hésite, et nous ne pensons pas !
Cœur de soldat-héros, tout plein de poésie,
Retourne te grandir aux grandeurs de là-bas !
Ici, point d’idéal. Récompense au plus leste,
A qui saute plus haut le plus comiquement !
Pas un n’ose l’aveu de la foi qui lui reste !
… Mon héros, tu reviens dans un mauvais moment.
Une fausse gaîté parade sur la scène…
Surtout n’y parlons plus de martyre et de mort !
Rions ! gloire au bon mot. Honneur au mot obscène…
Les canards ont fait couin : le chant du cygne a tort !
Guerre à tout idéal ! Sus à l’idéaliste !
Le pire est qu’on s’oublie, et qu’on a, par instants,
Honte d’être soi-même et de s’avouer triste,
Et qu’on est trivial pour être de son temps.
On a pour le talent, les vieillards et les femmes,
Ce manque de respect dont plus d’une sourit !…
Oh ! qui nous refera des cœurs, de grandes âmes ?
Qui viendra terrasser l’analyse et l’esprit ?
Qui nous rendra la France avec sa gaîté saine,
Son goût cornélien pour les efforts virils,
Pour les pleurs généreux, pour la grandeur humaine,
Pour la mort bien soufferte et les nobles périls ?
L’art a le geste louche et l’allure mauvaise ;
Ce qu’on cherche n’est pas le beau : c’est le succès.
Grâce unie à la force, élégance française,
En est-ce donc fini de ce qui fut français !
… Va, retourne, mon frère, à tes déserts d’Afrique ;
Va voir sous son burnous, pauvre avec l’air d’un roi,
L’Arabe au geste lent, simple comme l’antique,
Noble, vivre et mourir dans l’orgueil de sa foi !
Va les voir, sur les rails, lorsque le train s’arrête,
Sortir de leurs wagons, le soir, cinquante ou cent,
Et tous, courbés, frappant le sol avec la tête,
Vers la Mecque tournés, prier le Seul Puissant !
Va les voir faire en paix ce qu’ils croient devoir faire,
Sans s’occuper d’un mot ou d’un rire moqueur,
Gravement, comme s’ils n’avaient pas d’autre affaire,
Vaincus, que de donner un exemple au vainqueur.
Et puis, soldat, au seuil de la tente de toile,
Avant de t’endormir, tu pourras librement
Voir, dès l’aube et le soir, Zorah, la Belle Étoile,
Briller, près de la lune, au bord du firmament.
LA PÉTITION DE L’ARABE
Poète, parle à tous avec force et douceur,
Et, ni juge ni roi, sois un avertisseur.
Proverbe arabe.
Toi qui n’es pas ministre, écoute-moi, roumi :
Tu n’as pas l’air méchant, et je te crois ami,
Et je sais que les tiens t’appellent un poète,
C’est-à-dire un faiseur de chansons, qu’on répète,
Au seuil de la maison, le soir, quand il fait beau.
La flûte du berger réjouit le troupeau.
O roumi, si j’ai bien compris ta destinée,
C’est une belle part, celle qui t’est donnée,
Car ton devoir, c’est d’être un sage, un marabout,
Et même, lorsqu’un faux ami te pousse à bout,
De ne pas te livrer à la haine cruelle.
Tu dois, lorsque tu vois deux hommes en querelle,
Mettre ta main entre eux pour calmer et bénir.
Tu dois savoir juger : tu ne sais pas punir.
Bien. Laisse les chacals faire leurs cris sinistres,
Et rapporte ceci, poète, à vos ministres :
Écoute bien, roumi : nous n’aimons pas les juifs.
Nos sages cependant, nos marabouts pensifs,
Disent que le seul Dieu, Dieu le vrai, le suprême,
D’Abraham, de Jésus, du Koran, c’est le même…
(Béni soit-il ! il est toujours, partout présent !)
Pourquoi donc nous charger d’un mépris écrasant,
Et traiter mieux les juifs que les fils du Prophète ?
En quoi votre justice est loin d’être parfaite,
Et votre politique est boiteuse, ô vainqueurs,
Car il faudrait soumettre, après les corps, les cœurs !…
Nous sommes irrités et d’être et de paraître
Plus courbés que nos juifs sous la verge du maître.
Nous sommes, il est vrai, de grands pécheurs, couverts
De honte, et nous avons parmi nous des pervers,
Des menteurs, des voleurs !… mais, roumi, — la justice,
Doit rester bienveillante à tous, et protectrice :
Or, vous doutez toujours de nous : ce n’est pas bien !
C’est nous faire douter de votre cœur chrétien !
La justice, toujours haute, jamais hautaine,
Doit conclure au pardon dans la cause incertaine.
Le titre de vaincu devrait nous protéger :
Il est notre menace ; il est notre danger !
L’étranger nous méprise et le montre avec joie :
A l’air dont il regarde, et dont il nous coudoie,
Nous nous sentons proscrits sur le sol musulman !…
Vous nous posséderiez bien mieux en nous aimant,
Chrétiens ! — Toute conquête est à jamais fragile
Qui ne se fonde pas selon votre Évangile.
Priez vos jeunes chefs de nous moins écraser :
Quand ils tendent leur main dédaigneuse à baiser,
Le vieux cheik incliné sent au cœur sa souffrance !…
La générosité, c’est une fleur de France…
La jetez-vous en mer, quand vous venez vers nous ?
Nous avons de grands cœurs d’hommes sous les burnous,
O roumis ! — O roumis, ne nous faites pas dire
Que votre république est un méchant empire,
Qui ne nous porte ici, sous couleurs de progrès,
Que prostitution publique et cabarets !
Songez que le désert reste libre, et méprise
Ce qui fait l’homme esclave… ou ce qui civilise !
Songez que la matraque est un mauvais moyen
D’enseigner l’ignorant, d’en faire un citoyen,
Et de lui faire aimer une loi — qu’il ignore.
Songez que le nomade, ô roumis, l’est encore,
Et qu’il ira semant la haine, s’il apprend
Que le vainqueur chrétien n’est ni juste ni grand !
Vous voici comme nous, d’ailleurs, — roumis mes frères, —
Des Vaincus !… Nous pouvons parler des temps contraires,
Car, lorsque votre France hier nous appela,
Nous avons de bon cœur répondu : « Nous voilà ! »
Et les durs Prussiens, sur leurs champs de bataille,
Ont trouvé dans l’Arabe un soldat à leur taille,
Et nous avons versé, — près de vous, nos vainqueurs,
Avec vous, leurs vaincus, — le sang chaud de nos cœurs,
Acceptant d’être ainsi, malgré notre querelle,
Deux fois vaincus de France, et par elle, et pour elle !
… Je répète tout haut ce qu’on pense tout bas !
La défaite est amère, — ô Français, — n’est-ce pas ?
Eh bien ! vaincus, songez aux vaincus que nous sommes,
Que nous vous donnerons encor nos jeunes hommes,
Mais qu’ils devront avoir, pour vaincre à vos côtés,
L’amour de vos grandeurs et de vos libertés.
O roumis !… Le désert même, la mer de sable,
Peut cesser d’être horrible et d’être infranchissable,
Si le vent de l’Atlas et la voix du lion,
Au lieu de méfiance et de rébellion,
Parle au sable infini de la grande espérance
Qui fait, depuis cent ans, chérir le nom de France !…
— Si le simoun, ardent et libre sous les cieux,
Nous dit que vous restez dignes de vos aïeux,
De ceux-là qui, brisant les antiques entraves,
Voulant que par le monde on ne vît plus d’esclaves,
Firent du droit français le droit du genre humain,
Le sable vous fera de lui-même un chemin !
Le Targui voudra faire escorte à vos fortunes !
Et vous n’entrerez plus dans le désert des dunes,
Sans entendre, en l’honneur du peuple sans pareil,
Chanter les dunes d’or qui croulent au soleil !
TABLE DES MATIÈRES
| Pages. |
L’AME ARABE |
|
AU BORD DU DÉSERT : |
Allah |
|
La Coupe du Cheik |
|
La Bouche |
|
Politesse arabe |
|
Bab’Azoun |
|
La Gazelle |
|
La Danse de l’abeille |
|
Strelitzia |
|
La Rose de Biskra |
|
Rebecca |
|
L’Autruche |
|
A Bab’Azoun |
|
Salim |
|
Les Hirondelles |
|
Paroles du pauvre Arabe |
|
Le Cimetière |
|
Fantasia |
|
Le Cadi |
|
Eau de rose |
|
L’Inconnu |
|
Le Départ du jeune Arabe |
|
La Danse du sabre |
|
La Nuit de mai |
|
L’Enlèvement de Kheïra |
|
L’Amour de mon amie |
|
A Kheïra |
|
Le Brûle-parfums des souks de Tunis |
|
You ! you ! you ! |
|
Chez soi |
|
Le Rhapsode |
|
La Poésie |
|
La Mort |
|
Le Bédouin |
|
Jésus nomade |
|
Le Chien mort |
|
A Biskra |
|
Au bord du désert |
|
Le Consolateur du désert |
|
Proverbes arabes |
|
Le Muezzin |
|
Le Nomade |
|
La Diffa |
|
Au bord du puits |
|
Le Marcheur du désert |
|
Zinah |
|
Les Bourricots d’Alger |
|
Sidi le Juge |
|
Dans la mosquée |
|
A l’école |
|
L’Anaya kabyle |
|
Le Général Margueritte |
|
Chant des Touaregs |
|
Chant des Explorateurs |
|
A Charles Jourdan, en quittant Alger |
|
Sur une colombe rencontrée en mer |
|
Au feu de Minorque |
|
Sur la mort d’un poète |
|
Art poétique |
|
En-Nabigha |
|
A Ed-H., soldat-poète |
|
A Charles de P. |
|
LA PÉTITION DE L’ARABE |
|
Paris. — Typ. Georges Chamerot, 19, rue des Saints-Pères. — 29145.
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 67327 ***